Tout d’abord un premier constat : les thèmes principaux des protagonistes « hors système », c’est-à-dire la sortie de l’Union Européenne, l’abandon de l’euro, le « protectionnisme intelligent », l’interdiction des licenciements pour les entreprises faisant des profits, contrôle des frontières, regroupent, peu ou prou, la moitié des votants au premier tour de l’élections présidentielle. Comptez-les : MLP – 7,7 millions de voix ; J-L.M – 7,1 ; NDA – 1,7 ; PP+JC+FA= 1,0 soit un total de 17,3 millions de voix = 48,7% des votants (∿36 millions).
Un deuxième constat s’impose : le partage des voix exprimées pour les cinq premiers candidats + les petits s’est fait sur une ligne de clivage « grandes villes vs France profonde ». En effet, MLP+J-L.M + petits candidats ont réuni 41% du total des voix mais seulement 33% des voix de Paris tandis que les trois candidats « système » on réuni 49% des voix de toute la France mais entre 55 et 60 % à Paris et 13 autres villes.
Sans trop solliciter le propos, on peut dire que le clivage « ville vs campagne », d’un côté, et la problématique des préoccupations du « bon peuple », d’un autre côté, sont les deux marqueurs principaux du premier tour de l’élection présidentielle. On y reviendra.
Pour « prévoir l’avenir » pendant les trois derniers mois, on s’est référé à deux techniques différentes : sondages (échantillon représentatif, méthode des quota) et analyse numérique (« data mining »). Les bonnes performances récentes de l’analyse numérique (choix de FF à la primaire de la droite, élection de D.Trump, etc.,) et les contre-performances des instituts de sondage (Brexit, Hillary Clinton, etc.,) ont instillé la conviction selon laquelle l’analyse numérique avait plus de chances d’indiquer un résultat probable pour le premier tour que les sondages. Quant à l’auteur de ces lignes … tout en jetant un œil de temps en temps, sur les photos des sondages il s’est évertué à affiner les indications « analyse numérique » de quatre entités différentes (Filteris, Vigiglobe, SupTélécom, etc.,). C’est ainsi que fondé sur 25 tableaux d’analyse numérique constitués entre le 3 mars et le 23 avril, à l’unison avec ceux qui ont collecté et analysé les données, d’une manière téméraire j’ai soutenu, dur comme fer, la « prévision Fillon ». La réalité a été différente et comme on ne peut pas l’incriminer … il serait utile de comprendre pourquoi la technique utilisée n’a pas donné les résultats probants apparus, par exemple, aux Etats Unis.
Il me semble que l’on peut (doit) mettre en examen le résultat de deux grandes masses : (a) l’analyse numérique faisant du « data mining » est, presque, entièrement influencé par le « buzz » des réseaux (et d’abord Twitter) et (b) le profil type de l’intervenant moyen sur les réseaux n’a rien à voir avec celui d’un « citoyen lambda »..
De plus, l’utilisateur des réseaux est, principalement, un jeune mais les votants sont en majorité des « vieux ». Qui plus est, les jeunes sont plus sensibles à deux types de comportement – le renouveau des têtes (rupture) et l’innovation (ou ce qui peut paraître comme). Le résultat de ce qui précède a été ce que l’on peut appeler « la réalité » : face à un FF (sérieux, dépendable, expérimenté, en laissant de côté « les affaires ») et/ou un BH (sérieux mais morne, sans imagination, politiquement correct) nos concitoyens ont choisi les deux candidats qui correspondaient le plus à ce qu’ils recherchent : MLP et EM.
Cette réalité n’a pas été appréhendée par « l’analyse numérique ». Autant dire que le « buzz » constaté (qui a servi de support pour le « data mining »), certes important en volume ne traduisait pas la « réalité » induite par le corpus de votants. Voilà pourquoi votre fille est muette …
Les choses étant ce qu‘elles sont, le deuxième tour de l’élection va devoir départager « une nouvelle tête (sortie de nulle part, un ectoplasme créé de toutes pièces pour les besoins de la cause) avec un programme sans solution de continuité par rapport à celui de FH » avec une tête ancienne (quoi qu’elle dise, faisant partie du « système » depuis des lustres) qui propose un programme de rupture. Programme qui est, quand même, admis par presque un français sur deux ! S’il n’y avait que le « programme de rupture » il n’est pas interdit d’imaginer qu’il pourrait prévaloir : la France a fait d’autres révolutions pendant son histoire, une de plus, une de moins … Mais, ce programme est entaché des stigmates historiques des ceux qui le portent et, à ce titre, disqualifiant pour une bonne partie de la population. Révulsés par les pêchés originaux de ceux qui en sont les promoteurs, répondant positivement à tous ceux qui lui conseille de ne pas donner suite, le bon peuple se verra forcé de choisir le status quo. La première fois où on a fait cela, en 2002, en faveur de JC (celui né en 1933 ...), cela a valu au pays douze années de glaciation. Faire la même chose et espérer un résultat différent, selon Einstein, est un signe de folie.
Donc, au deuxième tour on va avoir le choix entre la peste et le choléra. Notre seule chance pour ne pas en arriver là eut été de choisir une « tête ancienne » qui proposait un nouveau programme. Il n’a réuni qu’un cinquième des votants (surtout pour des raisons totalement disjointes de ce qu’il proposait).
Fort de tout ce qui précède, il me semble urgent de m’abstenir, dorénavant, de faire quelque analyse que ce soit, de ne plus tirer des courbes de tendance et/ou autres et d’attendre le résultat du deuxième tour pour savoir à quelle sauce nous serons mangés. Et de souligner que le texte présent est, en fait, une sorte de mea culpa.
Mission accomplie : Premier ministre cramé (Valls) ; vainqueur de la primaire socialiste éteint (Hamon) ; tribun marginalisé (Mélenchon). Reste un homme jeune, apparemment plein d’avenir, qui, certains l’espèrent, va contribuer à la perpétuation de la social-démocratie hollandiste, dans une lame de fond portée par les médias, les sondages et les généreux bienfaiteurs. A. Bercoff – Valeurs Actuelles 09.04.17