Émule de Sam Peckinpah, le ci-devant aide du Prince Mohamed ben Salman, le sieur Saud al-Qahtani a envoyé un commando de 15 personnes pour accueillir au Consulat d’Arabie Saoudite à Istanbul un journaliste quelque peu dissident.
Fast forward – après quelques négations, l’Arabie Saoudite confirme la mort du dissident « dans une bagarre à poings » qui avait mal tourné. Mais, pas un mot sur le cadavre et on se demande… « Arthur où t’as mis le corps ? » (Boris Vian chanté par Serge Reggiani).
Flash back – en prévision de la bagarre qui devait avoir lieu, le commando disposait d’une scie à os et comportait, parmi ses membres, le médecin-légiste présidant le Conseil Scientifique des médecins-légistes Saoudiens. Comme il se doit, un professionnel de la découpe des corps humains.
Et le sieur al-Qahtani a demandé au commando, par Skype (par Skype !), « apportez-moi la tête de ce chien »
Non, il ne s’agit pas d’un groupe de pieds nickelés. Ce dont il s’agit c’est l’Arabie Saoudite, monarchie absolue s’il en fût. Absolue ? Le pouvoir corrompt. Le pouvoir absolu corrompt absolument » (Lord Acton).
Et, donc, notre vue de la chose doit faire appel à la « Realpolitik ». Certes, des chefs d’entreprises, des diplomates, des conseils en toutes branches, viennent de décider de boycotter le « Davos du désert » qui a lieu à Ryad en ce moment. Pour ce qui est des grandes nations démocratiques… c’est une autre paire de manches. Le Parlement espagnol (majorité socialiste) vient de rejeter une motion visant l’arrêt de la vente des armes au pays en question. L’Allemagne botte en touche et décide de « suspendre » les livraisons prévues tout en demandant aux pays européens de faire de même. La France (par la bouche de notre Président) fait savoir qu’elle n’a rien à dire. Embarras évident car il veut garder ses bonnes relations avec l’homme fort de l’Arabie Saoudite (MBS) d’autant que ce pays est le deuxième client de notre pays pour les ventes d’armes.
Au moins il ne fait que s’incliner devant le Prince, pas autant qu’Obama pour le Roi.
Plus de 12 milliards d’euros depuis 2010, des armes qui sont utilisés dans la guerre au Yémen - en décembre 2017 on comptait, déjà, plus de 10.000 morts, plus de 55.000 blessés et des dizaines de milliers de réfugiés. (Le Monde, 17.05.18).
Et comme le Président doit faire une visite là-bas à la fin de l’année…
Quant aux Etats-Unis, M. Trump - toujours parlant vrai - fait savoir que les contrats signés qui font quelques 110 milliards de $ seront respectés car autant de travail pour les usines américaines, cela ne se refuse pas. Surtout quand d’autres fournisseurs n’attendent que ça. Qui ? Selon lui, dans l’ordre, la France, la Russie, la Chine.(The Hill, 13.10.18)
Mais pourquoi ce tapage universel pour un crime dont pas mal d’états se sont rendus coupables ? L’affaire Ben Barka est bien oubliée…
Qui est l’homme assassiné par le commando saoudien ? On met en avant sa qualité de « journaliste, chroniqueur de Washington Post ». On n’insiste pas sur son cursus : compagnon de route d’Osama ben Laden pendant des années, protégé du Prince Turki Al-Faisal (chef des services de renseignement saoudien avant d’être ambassadeur à Washington) porte-parole du même et membre des Frères Musulmans. Quand Al-Sissi «dégomme » le gouvernement des Frères Musulmans en Egypte, ses écrits les plus virulents montrent de quel bois il se chauffait : contre le traité de paix Egypto-Israélien, contre Israël (dont il souhaite l’éradication), contre l’action des Etats Unis en Afghanistan (épitaphe pour Ben Laden « Tu étais magnifique et plein de bravoure aux beaux jours de l'Afghanistan, avant que tu succombes à la haine et à la passion » Le Figaro, 18.10.18). Pourtant, il est engagé par Washington Post : ne doit-on tirer la conclusion qu’à part son carnet d’adresses le journal l’a embauché car sa ligne politique était la sienne aussi ?
Bon, mais on se dira… le tuer ? Le pouvoir absolu… car il s’est mis à mal avec les autorités suprêmes du royaume qu’il s’est mis à critiquer. En partant des positions des Frères Musulmans qui ne sont pas en odeur de sainteté parmi les whabistes.
Dans tout cela on ne peut pas ne pas relever le comportement de parrain mafieux du sieur Erdogan qui distille les informations (réelles ou fabriquées) concernant l’affaire, de manière à faire pression sur l’adversaire qu’est l’Arabie Saoudite dans la compétition pour la domination du monde sunnite. Acrobate politique, il s’allie un jour avec la Russie, un autre avec l’Iran tout en se déclarant allié des Etats Unis et étant membre de l’OTAN. Et en espérant obtenir beaucoup d’argent de l’Arabie Saoudite, prix de sa capacité de passer le tout sous le tapis. Tout en faisant silence sur son propre record de traitement des journalistes turcs : Dans son recensement annuel des journalistes emprisonnés, le CPJ a identifié 262 journalistes incarcérés en rapport avec leur travail, un nouveau record après une hausse historique de 259 journalistes emprisonnés l'année derrière. Les trois pires geôliers ont incarcéré 134 journalistes, soit 51 pour cent du nombre total de journalistes incarcérés. Le CPJ mène une enquête annuelle sur les journalistes incarcérés depuis le début des années 90. (CPJ – Committee to Protect Journalists – 13.12.17)
Comment tout cela va finir ? Les grandes puissances se contenteront des explications alambiquées de l’Arabie Saoudite, elles reprendront les livraisons d’armes en espérant de nouveaux contrats et l’Arabie Saoudite continuera à faire partie du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU.
Et on s’occupera des affaires courantes… tandis que Washington Post embauchera, sans doute, un remplaçant disposant du même profil …