Dans le dernier texte mis en ligne j’avais écrit « Mais, une incursion russe en Ukraine pourrait, de manière perverse, sauver l'ordre européen actuel. L'OTAN (que notre Président considérait « en état de mort cérébrale ») n'aurait d'autre choix que de réagir avec fermeté, en imposant des sanctions sévères et en agissant dans une unité décisive. Plusieurs lecteurs (verba volant, scripta manent) me demandent si je n’ai pas changé d’avis. Oui, l’incursion russe en Ukraine en étant à son troisième jour, il est grand temps de regarder ce qui se passe pour imaginer ce qui pourrait advenir.
Donc, c’est la Russie de M. Poutine qui est sortie du Zugzwang. J’écrivais « Entre conflit armé ou retraite humiliante, il voit désormais sa marge de manœuvre se réduire à néant. Il pourrait envahir et risquer la défaite, ou il pourrait reculer et n'avoir rien à montrer pour sa gloire. L’avenir n’est pas écrit sur les murs mais, une chose est claire : le pari de M. Poutine semble avoir échoué. » M. Poutine a choisi le conflit armé là où il pensait tout obtenir simplement en montrant 150.000 soldats russes autour de l’Ukraine. Et son pari est perdu car, en un rien de temps, son pays se trouve au ban des nations, cible à des sanctions qui graduellement feront de plus en plus mal même si les crédules, naïfs, jean-foutres qui gouvernent le « monde libre » ont, pour l’instant peur de leur ombre. A tel point que, Ben Wallace, le ministre de la Défense britannique a comparé les efforts diplomatiques occidentaux pour empêcher une invasion russe de l’Ukraine à l’apaisement de l’Allemagne nazie avant la Seconde Guerre mondiale (Twitter, 24.02.22). Regardez : les sanctions les plus dures déjà mises en place, immédiatement, sont l’exclusion de l’Eurovision et l’annulation de la finale de la Ligue de football à Saint Petersburg. Et j’ai oublié le déplacement du Pape à l’Ambassade de la Russie à Rome pour porter la bonne parole.
Souvenons-nous de ce que chantait Boris Vian :
Sachant proche le résultat
Tous les grands chefs d'État lui ont rendu visite
Il les reçut et s'excusa
De ce que sa cagna était aussi petite
Mais sitôt qu'ils sont tous entrés
Il les a enfermés, en disant soyez sages
Et, quand la bombe a explosé
De tous ces personnages, il n'est plus rien resté
Pourquoi ? Tout d’abord parce que, pour la première fois dans l’histoire depuis 75 ans, un chef d’état laisse entendre que ses forces nucléaires sont en alerte et, donc, qu’il pourrait les utiliser. « La Russie d’aujourd’hui reste un des États nucléaires les plus puissants » dit Mister Poutine, façon de menacer ses adversaires de conséquences inimaginables. En faisant ce qu’il a fait il a déjà confié au monde éberlué son éventuelle, possible, décision de faire sauter la planète. Dr. Folamour, vous dis-je. Soit. On le croyait rationnel, il est d’évidence paranoïaque (R. Girard, Le Figaro 24.02.22). Là où les choses se compliquent, c’est quand on entend un ministre français rappeler vendredi sur France Inter, à Vladimir Poutine, que « l’OTAN aussi était une alliance nucléaire » Je vous le dis, les paroles de Boris Vian étaient prémonitoires, on ne devrait pas les oublier.
Mais, au fait, tout ça pourquoi ? Parce que Moscou veut un veto sur l’adhésion à l’OTAN et la politique étrangère de Washington. Il veut également interdire les missiles stratégiques et balistiques et les équipements moins sophistiqués, sur tout le territoire de l’ex-Union soviétique et de l’ancien pacte de Varsovie. En tout quelques 14 pays qui devraient changer leur statut actuel - et leur protection via l’OTAN - en faveur d’une « finlandisation » souhaitée par la Russie. Et il veut contrôler l’Ukraine de 45 millions d’habitants car la démocratie là-bas peut infecter le régime poutinien en Russie (pas la même chose en Géorgie, Biélorussie ou Kazakhstan où il l’a déjà fait). Naturellement, en laissant de côté le droit de tout peuple/nation/pays de disposer de lui-même. Et aussi que les états en question, lors de l’effondrement de l’Union Soviétique qui les dominait, se sont trouvés libres pour la première fois, pour certains, depuis des siècles. Mais attaquer un pays voisin qui ne l’a pas provoqué ? Pourquoi risque-t-il le sang de ses propres soldats? Pourquoi risquerait-il des sanctions, et peut-être une crise économique, pour finir? Et s’il n’est pas vraiment prêt à risquer ces choses, alors pourquoi joue-t-il à ce jeu complexe? Ce faisant, la Russie viole le Mémorandum de Budapest, signé en 1994, garantissant la sécurité de l’Ukraine qui renonçait à son armement nucléaire. Avez-vous déjà entendu Poutine ou l’Occident en parler? Bien sûr que non. La raison ? Pour Poutine qui ment comme il respire, aucune raison de l’évoquer. Pour les Biden, Johnson, Macron, Borell, Scholz – le mentionner demanderait soit la solidarité économique/militaire avec l’Ukraine soit l’admission de leur irresponsable couardise complice de Poutine.
Certes, on ne connaît pas le résultat de l’invasion. On sait seulement qu’elle paraît moins rapide que prévu car les ukrainiens se défendent. Les fusées anti-char, les JAVELIN américains, les NLAW suédois, les SWINGFIRE anglais (pas les MILAN français car nous, nous préférons plutôt parler que de donner des armes aux ukrainiens) posent de sérieux problèmes au colonnes de tanks russes. Et quand on entend Mister Poutine, dans un discours télévisé (25.02.22), exhorter l’armée ukrainienne à « prendre le pouvoir dans ses propres mains » et ajouter « Il me semble qu’il sera plus facile pour nous d’être d’accord avec vous qu’avec cette bande de toxicomanes et de néo-nazis », en faisant référence à la direction de Kiev sous le président Volodymyr Zelensky, qui est juif on a, confusément, le sentiment qu’il y aurait comme un grain de sable dans l’avance de l’armée russe vers Kiev. Car ce que Mister Poutine planifia c’était un « blitz krieg » Mais Mister Poutine n’est plus en train d’orchestrer un coup d’État sans effusion
de sang en Ukraine. Il tente plutôt de devenir une force d’occupation bien que pour l’instant il n’ait occupé aucune grande ville. Cela est une attitude beaucoup plus difficile pour un pays, même grand et riche — vous n’avez pas besoin de regarder beaucoup plus loin que l’Afghanistan pour voir le problème avec les forces extérieures (qui, à terme, devront rentrer chez eux), essayer d’imposer des idéologies ou des gouvernements à un peuple qui n’en veut pas. Ajoutez à cela des sanctions paralysantes, et vous vous retrouvez face à une longue bataille qui n’est pas facile à gagner.
Oui, Mister Poutine a perdu son pari. Occuper ou pas l’Ukraine devient secondaire par rapport à ce que la Russie perd sur le plan mondial. Certes, tout un chacun commence à regarder si, des fois, les sanctions contre la Russie ne risquent pas de coûter trop cher. Pourtant depuis 40 ans les présidents américains avertissent l’Europe (l’Allemagne en premier lieu) sur la dépendance gazière face à la Russie. Ce qui était imaginé (prévu) arrive et… « Olaf Scholz, pour l’Allemagne, tire le frein à main et demande que l'arme Swift ne soit déclenchée qu'en dernier recours » (Marianne, 25.02.22). Ultime recours ? Quand la Russie utilisera une arme nucléaire ? Ne sont-ils pas ces dirigeants qui dirigent le monde vers sa perte hors de la réalité ?
Oui, Mister Poutine a perdu son pari. Mais, ce qui se passe est moche et va le devenir encore plus. Dr. Folamour ne va pas s’arrêter de sitôt. On ne lance pas une attaque militaire à grande échelle contre un autre pays pour que, trois jours plus tard, on puisse se dire : « Je pense que j’ai fait valoir mon point de vue », et rentrer chez soi. Il n’a jamais été intéressé par les négociations (demandez à notre Président qui a fait tout ce qu’il pouvait faire y compris promettre d’obtenir la garantie que l’Ukraine n’entrera jamais dans l’OTAN), il n’a jamais été ouvert à la discussion, il a mis en marche une invasion préparée de longue date qui va se dérouler jusqu’au point où dans dans sa tête il pourra dire qu’il a gagné.
Oui, Mister Poutine a perdu son pari. Nous ne sommes plus pendant la décennie commencée en 1979 quand il fallait voir arriver les innombrables cercueils d’Afghanistan pour comprendre que la guerre, là-bas, était perdue. Aujourd’hui, même les russes partisans de Mister Poutine ont accès via leurs smart phones au Facebook, Twitter, Tik-Tok et autres réseaux. Et ils ont commencé de voir des tanks détruits sachant que dans chacun il y avait au moins deux soldats.
Et pour tous les russes beaucoup de choses changeront. L’élite dirigeante russe n’a peut-être pas peur des sanctions. Elle n’a rien à craindre, mais le niveau de vie des Russes ordinaires risque de se dégrader considérablement, de même que leur mode de vie, leur psychologie, leur éducation et leur compréhension du bien et du mal. Les Russes sont maintenant complètement identifiés aux yeux du monde avec le Kremlin. Discrédités par le Kremlin. Ils sont maintenant du côté du mal, et si leur psychologie nationale leur permet de justifier la guerre, cela va gâter la nation, la rendre dysfonctionnelle, non structurante, non créatrice.
La guerre et sa justification marquent la dégradation d’une nation, une dégradation qui est avant tout spirituelle, mais aussi sociale et économique. Dr Folamour ou Mister Poutine a opposé sa nation au monde entier, transformant les citoyens russes en otages d’idées difficiles à imaginer au XXIe siècle. Dans sa folie hyperbolique Dr Folamour s’est fixé de grands objectifs mais peut-être irréalisables. C’est vrai, l’Union Soviétique dont Mister Poutine a dit un jour que l’effondrement est la plus grande catastrophe du 20ème siècle (pas les dizaines de millions de morts de la première guerre mondiale, ni ceux de la deuxième, ni les 100 millions de victimes du communisme européen ou asiatique) s’était fixé aussi de grands objectifs -la victoire du communisme dans tous les pays du monde- irréalisables. Lénine, Staline et leurs épigones voulaient créer une révolution internationale, soumettre le monde entier à la dictature soviétique du prolétariat. En fin de compte, ils ont échoué, mais ils ont fait beaucoup de dégâts en essayant. Mister Poutine échouera aussi, et lui aussi va faire beaucoup de dégâts en essayant. Pas seulement en Ukraine, en premier lieu dans sa Russie.