Pour une fois c’est de la géopolitique (un des titres du blog) car plusieurs lecteurs semblent surpris par mon silence sur ce qui se passe aux confins de l’Europe pendant que chez nous - élection présidentielle oblige - les gens sont interpellés par le décalage entre ce que l’on nous raconte et ce qui se passe, tout en suivant le progrès des convois de la liberté vers Paris et Bruxelles. Pourquoi faire ?
Peut-être parce qu’ils « sentent confusément » que nos lendemains ne chanteront pas.
Le gambit du Président
Commençons par le commencement. L’effondrement de l’Union Soviétique, en décembre 1991, a laissé plusieurs républiques constitutives en possession d’inventaires énormes de moyens militaires et, surtout, nucléaires. Effrayés par l’éventuelle dissémination d’armes nucléaires, les Etats Unis tout en participant à leur démembrement (bombes, fusées, sous-marins, etc.,) ont réussi à négocier, en 1994, un accord appelé « Mémorandum de Budapest » sur les garanties de sécurité à l’abri desquelles l'Ukraine acceptait de renoncer à ses armes nucléaires (plus de 2.000 qualifiées de « stratégiques ») ainsi qu'à ses missiles balistiques intercontinentaux et à ses bombardiers stratégiques. En échange, la Russie s'est engagée à "s'abstenir de recourir à la menace ou à l'usage de la force contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de l'Ukraine", tandis que les États-Unis et la Grande-Bretagne ont promis « de fournir une assistance à l'Ukraine... si l'Ukraine devait être victime d'un acte d’agression »
Nous sommes en 2014, M. Poutine envahit l'Ukraine, annexe la Crimée et met en place une occupation par procuration de deux régions de l'Est de l'Ukraine, alimentée par l'argent russe, dirigée par des responsables russes et soutenue par des militaires et des services de renseignement russes. Le Président américain est M. Obama, il laisse faire, constitue des « sanctions » auxquelles l’Europe s’associe, qui ne servent à rien et… vogue la galère. Les garanties des Grandes Puissances… tu parles !
Maintenant, M. Poutine, en paraphrasant W. Churchill « un rebus enveloppé de mystère au sein d’une énigme » semble sur le point de revenir pour prendre une autre bouchée, encore plus grande, de l'Ukraine. Pourquoi ne le referait-il pas ? Les Etats Unis ont comme président un vieillard cacochyme, dont l’intellect semble en perte de vitesse, marionnette de son entourage (tous, anciens collaborateurs de l’Administration Obama) qui le font regarder uniquement vers la Chine et qui sont en train de passer l’Europe par pertes et profits. Puisque les 27 pays qui la forment n’ont pas réussi à faire autre chose que créer une bureaucratie autonome qui les pousse vers des horizons indéfinis mais progressifs et inclusifs loin de ce qu’il était - presque - le but initial, l’union fondée sur l’héritage judéo-chrétien de sa civilisation.
Ce faisant, M. Poutine, que d’aucuns prennent pour un grand joueur d’échecs et non pas pour ce qu’il est - un prédateur opportuniste avec une mission auto-assignée - qui à défaut de ressusciter l’Union Soviétique, veut recréer la géopolitique de la Russie via ses anciennes zones d’influence et, éventuellement, le contrôle des anciennes républiques soviétiques (déjà la Géorgie, Abkhazie, le Kazakhstan, la Biélorussie, la Crimée) réussit à imposer au monde occidental un Zugzwang : quelque soit leur prochain mouvement il rendra leur posture pire. En effet, 40% de la consommation de gaz en Europe vient de Russie (Nord Stream 1 et 2) comme plus de 60% de celles de l’Allemagne et de l’Italie. A bon entendeur ... Et si quelqu’un avait des velléités de participation militaire à la défense de l’Ukraine… il vient de rappeler utilement que la Russie est une puissance nucléaire.
Considérant le moment utile pour faire avancer son projet, en décembre 2021 le Kremlin avait demandé un ensemble de garanties « à toute épreuve, étanches et à l'épreuve des balles », selon les mots de Sergei Ryabkov, le vice-ministre russe des Affaires étrangères, comme la promesse de ne pas étendre l'OTAN plus à l'Est et de retirer les infrastructures militaires étrangères du territoire de quatorze pays d'Europe Centrale et Orientale qui ont rejoint l'OTAN après 1997. (newyorker.com 03.02.22).
Les demandes russes contenaient un degré de culot éhonté qui exposait le peu de chances qu'elles avaient d'être acceptées. Ce qui est clair, c'est que les exigences que la Russie a avancées et qualifiées d'impératives ne peuvent pas être acceptées ni par l’Europe ni par les Etats Unis. Néanmoins, pour montrer de quel bois il se chauffe, M. Poutine installe plus de 100.000 soldats sur la frontière Est de l’Ukraine et encore 30.000 au Nord-Est, en Biélorussie. Pourquoi, out of the blue se fait-il fauteur de guerre ? Une explication, pertinente, par la voix d’un Général-Colonel à la retraite L. Ivashov (deuxième grade le plus élevé dans l’hiérarchie militaire russe) publiée par Echo-Moskvy : Pour être clair, Ivashov pense que l'OTAN est une puissance hostile, mais son expérience lui a appris que la menace OTAN/États-Unis est maîtrisée et aucune menace extérieure n'est imminente de la part des puissances occidentales. L'accumulation massive de troupes russes aux frontières de l'Ukraine et de la Biélorussie n'est donc pas destinée à faire face à une menace de l'Occident. Il s'agit plutôt de détourner l'attention de la santé interne, des défis démographiques, de l'effondrement du niveau de vie et de la corruption généralisée dont souffrent les citoyens russes sous la mauvaise gestion du régime incompétent de Poutine. The Hill, 11.02.22
Mais, une incursion russe en Ukraine pourrait, de manière perverse, sauver l'ordre européen actuel. L'OTAN (que notre Président considérait « en état de mort cérébrale ») n'aurait d'autre choix que de réagir avec fermeté, en imposant des sanctions sévères et en agissant dans une unité décisive. En durcissant le conflit, M. Poutine pourrait rallier ses adversaires. Car alors qu'aucun nouvel état ne pourrait rejoindre l'OTAN voilà que la Finlande et la Suède, deux récalcitrants, envisageraient de rejoindre l'alliance. En clair, voilà le boomerang : en menaçant la souveraineté de l’Ukraine M. Poutine est en train de faire ce que les Etats Unis n’ont pas réussi : unifier l’Europe sous le drapeau de l’OTAN.
N’ayant pas encore envahi l’Ukraine (hésiterait-il ?) il a laissé du temps au monde occidental pour ne rien faire (seule possibilité pour sortir du Zugzwang). Se retenir, en revanche, pourrait avoir l'effet inverse : la politique de pression maximale, à moins d'une invasion, pourrait finir par diviser et paralyser l'OTAN.
Que faire (vieille question russe, le titre même d’un livre écrit par Vladimir Ilitch) ? Entre conflit armé ou retraite humiliante, il voit désormais sa marge de manœuvre se réduire à néant. Il pourrait envahir et risquer la défaite, ou il pourrait reculer et n'avoir rien à montrer pour sa gloire. L’avenir n’est pas écrit sur les murs mais, une chose est claire : le pari de M. Poutine semble avoir échoué.
Dans les dernières semaines de la Première Guerre mondiale, un général allemand a envoyé un télégramme à ses alliés autrichiens résumant la situation. C'était, écrivait-il, "grave, mais pas catastrophique". La réponse est revenue : "Ici la situation est catastrophique, mais pas grave." C’est ce que l’Ukraine a l’air de dire tant elle ne croit pas à l’invasion russe qu’elle considère comme un bluff que les européens ne saisissent pas. Et nous en arrivons au gambit de M. Macron.
Aussi super-intelligent qu’il soit, il est difficile d'accepter l'idée qu'il pourrait résoudre l'impasse en concevant une position de négociation plus nuancée que le reste du monde n’a pas encore trouvé. Parce que si M. Poutine n'est qu'un prédateur opportuniste violent, des stratagèmes raffinés ont peu de chances de fonctionner. La recherche d'un ensemble complexe de mesures - conciliantes, radicales ou les deux - qui contrecarreraient M. Poutine ou répondraient à ses multiples motivations est probablement futile. Alors ? Pourquoi est-il allé à Moscou (comme d’autres à Canossa) en se parant et du titre de Président de la France et de celui octroyé par la présidence de la France de l’Union Européenne pendant six mois ?
Arrivé à Moscou, au grand plaisir de M. Poutine qui allait parler uniquement à la France et à son Président (l’Europe il ne connaît pas, il n’est pas le seul…) M. Macron a dû accepter une distanciation sociale
après qu’il ait refusé de passer un test PCR administré par la Russie (pour ne pas laisser connaître son ADN à la Russie), a déclaré vendredi le Kremlin. MM. Poutine et Macron ont parlé, pendant cinq heures, en étant assis aux extrémités opposées d'une table de 13 mètres de long au Kremlin, le président français espérant convaincre M. Poutine de prendre des mesures pour désamorcer la crise actuelle Russie - l'Ukraine. (11.02.22 – Moscow Times).
M. Poutine est bloqué (comme ses 130.000 soldats, chars d’assaut, canons, fusées, avions) sur les frontières de l’Ukraine. M. Macron (la France) est bloquée sans solution pour sa sortie au Mali depuis que la Russie se mêle des affaires de ce pays. Et, bien que tous les spécialistes en géopolitique ne soient pas d’accord sur l’explication, elle reste plus que plausible.
Retirez les « Wagner » (supplétifs mercenaires de l’Armée Russe) du Mali, et je vous trouve une solution pour l’Ukraine – par exemple la finlandisation aurait-il dit à M. Poutine. M. Poutine discute avec la France tandis que EM veut lui faire croire qu’il parle au nom de l’Europe. Comme si VVP ne savait pas qu’il y a trois groupes en Europe : ceux qui s’opposent à la Russie, ceux qui penchent du côté de la Russie et ceux qui se taisent. Et qu’obtenir une position commune tient à trouver le PPDC (le plus petit dénominateur commun), tâche souvent impossible.
Nous voilà au seuil du moment quand un des deux adversaires devrait « cligner » le premier. Le monde occidental est sorti, pour l’instant du Zugzwang, c’est la Russie qui s’y trouve. Les paris sont ouverts, les bookmakers de Londres donnent la Russie perdante à 3 contre 1. Et, vous lecteur, qu’en pensez-vous ?