Ce n’était pas prévu comme cela : la main sur le cœur M. Poutine nous avait annoncé, il y a juste un an (moins deux jours), qu’il avait décidé de lancer une « opération de police spéciale » qui allait se dérouler sur trois/quatre jours, pour rendre l’Ukraine sœur démilitarisée et dénazifiée. Les péripéties des douze derniers mois sont connues, l’inanité de la décision de M. Poutine ressort comme les yeux au milieu de la figure. Mais une majorité de russes et pas mal de monde en Occident - comme notre Président - pensent que la guerre qui ne disait pas son nom ne peut et ne doit pas conduire à « écraser » la Russie. Bigre. Quand on fait le résumé de cette année, on devrait souhaiter le contraire !
Nous y voilà. Encore deux jours et cela fera juste une année depuis que « le magicien du Kremlin » a lancé ce que tous les observateurs sont convenus de considérer comme la plus grande bêtise possible : une guerre pour envahir un pays de plus de 600.000 km2 et subjuguer les 44 millions d’habitants dont presque 8 millions parlent la même langue que l’envahisseur. Et cela avec une armée de 180.000 soldats, réputée une des premières du monde et qui faisait peur à toute la planète. Pays agresseur – la Russie (140 millions d’habitants, PIB=1.500 milliards $) pays agressé Ukraine (PIB=200 milliards $). Ces premières chiffres justifiaient aux yeux du monde entier la fanfaronnade de celui qui a décidé de la chose : « Il s’agit d’une opération spéciale de police, elle prendra trois jours et on pourra ensuite démilitariser et dénazifier le pays dont le gouvernement se compose de drogués » Aussi parce que le pays agresseur, la Russie dispose de plus de 6.000 têtes nucléaires dont une partie (2.400) lui avaient été rendues par l’Ukraine en échange d’un accord lui garantissant l’inviolabilité des frontières et la souveraineté.
363 jours et quelques 3 à 400 milliards de $ de dépenses plus tard, la Russie a perdu la moitié des territoires ukrainiens conquis pendant les premières semaines et se trouve, depuis des mois, en face d’une guerre d’attrition pendant laquelle le pays agressé reçoit un aide inimaginable de la part de deux acteurs principaux, dont les PIB cumulés représentent 38.000 milliards de $, soit 25 fois plus que la Russie. Autant dire que lorsque l’on entend les Etats Unis et/ou l’Europe dire « nous soutiendrons l’Ukraine aussi longtemps que nécessaire » la Russie devrait comprendre qu’elle n’a pas les moyens de sa politique.
J’ai déjà décrit dans le blog, pour les mettre en exergue, quelques exemples de pertes militaires (seulement). A ce jour, leur évaluation (références Wikipédia, Google, prix équipements équivalents, etc.,) indique :
Ajouter : Radars, transmissions, armement de combat (mitrailleuses, fusils d’assaut, etc.,) + munitions (plus de 50.000 obus/jour, TDG Monde, 08.07.22, 6.000€/unité !), postes commandement +++ et l’addition pour les équipements militaires devrait dépasser les 100 milliards de $.
Forbes évaluait les dépenses principales de la Russie pour la guerre à fin novembre 2022 à quelques 82 milliards de $.
Et si on fait un peu d’arithmétique (règle de trois) on peut estimer que :
- A fin février les coûts pris en charge par Forbes seront de 109,3 milliards de $ ;
- Le cout total probable (fonctionnements appareil défense, conséquences sanctions, pertes TVA et/ou impôts pour les 1-1,5 millions de russes ayant quitté la Russie, variations prix pétrole et gaz, etc.,) puisse être approximé ce jour entre 300 et 400 milliards de $.
En résumant, le coût d’une année de guerre pour la Russie doit représenter quelques 20 à 28% de son PIB. Je laisse de côté, naturellement, les pertes futures de la Russie, de plus en plus isolée, avec une industrie privée de la technologie occidentale et de ses produits et qu’une partie de sa jeunesse - instruite, cultivée, productive - a quitté pour vivre ailleurs. Et il ne faut pas oublier les ravages produits par les pertes de la Russie pendant cette année de guerre (qui semblent avoisiner les 200.000 morts ou blessés graves -selon le ministère de la Défense d’UK et la CIA). Et bien que nous sommes une année après le commencement de la guerre, la fameuse armée russe qui s’embourbe sur les frontières du Donbass ukrainien continue à perdre ses soldats (mal formés, mal équipés, moral à zéro) sans sourciller :
Plus de 800 soldats - morts ou blessés graves - par jour cette dernière semaine. Par ailleurs, on estime que le million de personnes qui ont quitté la Russie au cours de la dernière année l’ont fait pour fuir la guerre, soit parce qu’elles s’opposent à l’invasion, soit simplement pour éviter d’être mobilisées. À cet égard, le monde a appris qu’il y a des limites aux capacités coercitives de M. Poutine, même si cet exode massif de dissidents semble laisser derrière lui une majorité toujours confiante dans son gouvernement (ou supposée telle).
La tragédie qui se déroule en Ukraine, appelée « opération spéciale » a évolué en une guerre positionnelle avec des petites avancées et retraites progressives qui rappellent la Première Guerre mondiale. En réalité, la ligne du front qui a été établie en 2014, avec l’annexion russe de la Crimée et l’établissement d’enclaves sécessionnistes dans le Donbass, est restée en grande partie inchangée.
Mais on annonce une nouvelle offensive russe. Qui ne changera pas grande chose.
« Peut-être que cette guerre finira par s’enliser, mais, au moment où nous parlons, la situation s’aggrave. Poutine ne nous laisse pas le choix, il nous oblige à une escalade à laquelle nous ne pouvons nous dérober, car, s’il gagnait, ce serait désastreux, immédiatement et demain, à tous points de vue, même les esprits les plus rétifs aux emportements collectifs doivent l’admettre. Hubert Védrine, Le Figaro 19.02.23. Pas besoin de présenter M. Védrine, un des tenants de la diplomatie française, école du rapprochement avec la Russie, vieille tradition française depuis le 18/19 siècle et jusqu’à M. Macron.
Bien sûr, il ne faut pas oublier les choses vues du côté de l’Ukraine : « L’accumulation de preuves d’un comportement russe flagrant a rendu l’Ukraine d’autant plus déterminée à faire en sorte que ses territoires soient libérés et qu’aucun ne soit remis à la Russie indéfiniment. Les conséquences humanitaires des méthodes russes ont également renforcé le soutien occidental à l’Ukraine. En outre, les objectifs de guerre totale de la Russie ont renforcé la conviction ukrainienne qu’il n’existe pas de « paix de compromis » évidente. Les tactiques de guerre totale de la Russie n’ont pas non plus entravé les opérations ukrainiennes » Lawrence Freedman – 20.02.23 FP.
Si l’on comprend bien les deux extraits on arrive à la conclusion que le maximum que l’Ukraine pourrait accepter pour que la guerre finisse se trouve en deçà du minimum de ce que la Russie veut obtenir ; et le minimum de ce que la Russie veut obtenir se trouve au-delà du maximum que l’Ukraine peut accepter. Exactement ce qui se passe entre Israël et « les palestiniens » - et ça dure depuis 75 ans (presque 90 ans - partage proposé par le Commission Peel, 1937).
Et, alors, on se demande quel est le ressort de notre Président pour continuer à adopter une position incompréhensible pour une bonne partie du monde, en particulier pour les pays de l’Europe qui aident l’Ukraine d’une manière autrement plus consistante que le nôtre. Qu’elle est la raison de ses plus de 100 appels téléphoniques avec M. Poutine (selon les gazettes) ? Quand il dit, urbi et orbi que « la France soutiendra l’Ukraine jusqu’à la défaite de la Russie mais qu’il ne faut pas écraser la Russie » il parle pour ne rien dire, non ? D’autant plus que pour aider l’Ukraine notre pays devrait, peut-être, faire plus que ce qu’il fait. Regardez le classement de l’Institut Kiel au 21.02.23 :
L’aide militaire consentie par la France est 7 fois moindre que celle de l’Angleterre et 100 fois (!) moindre que celle consentie par les Etats Unis. Certes, cela permet aux « spécialistes » et « commentateurs » qui pullulent dans les médias français de dire, avec un clin d’œil qui en dit long « c’est une guerre des Etats Unis par ukrainiens interposés ».
Et notre pays se distingue de plusieurs autres aussi pour ce que l’on pourrait qualifier comme une complicité avec la Russie de M. Poutine : Auchan ? Leroy Merlin ? Cela ne vous dit rien ? Pas seulement que la majorité (vous entendez, la majorité) des sociétés françaises présentes en Russie avant le 24 février 2022 sont toujours-là ! Et on commence à apprendre des vertes et de pas mures. Exemple : Vladimir Potanin, l’un des oligarques des années 1990, qui a vendu sa Rosbank à la Société Générale il y a de nombreuses années. Après l’invasion de l’Ukraine, la Société Générale a décidé de quitter la Russie. Ainsi, M. Potanin (qui n’avait pas encore été sanctionné) est intervenu pour racheter Rosbank à un rabais massif, ne payant que 500 millions d’euros (545 millions de dollars) tandis que Société Générale a rayé 3,1 milliards d’euros de ses comptes pour perte sur la vente.
Il y a aussi la multinationale française Total Energies. Après avoir investi dans Novatek, qui est contrôlée par deux amis de M. Poutine, Gennady Timchenko et Leonid Mikhelson, et dans son énorme usine de GNL Yamal sur la mer de l’Arctique, TotalEnergies a été la dernière grande société énergétique occidentale à déclarer qu’elle quitterait le marché. Jusqu’à présent, elle ne l’a toujours pas fait, mais elle a rayé 3,7 milliards de dollars de ses comptes (l’investissement dans Novatek), et il est probable qu’un transfert se fera à des conditions favorables à MM. Timchenko et Mikhelson. (https://www.kyivpost.com).
Tout cela nous laisse avec une grande interrogation. Sommes-nous du côté de la Russie de M. Poutine ou de l’Ukraine ? Pratiquement aucun des pays de l’Est de l’Europe ne croit plus un mot de ce que M. Macron raconte. Depuis un an il nous parle des 18 cannons CAESAR que la France a fourni à l’Ukraine. Et on va nous parler probablement, pendant une année encore, aussi des quelques chars sur roues (AMX-10 entrés dans l’inventaire de l’armée en 1981 et en train d’en sortir depuis plusieurs années) qui partiront, incessamment, pendant que trois pays préparent une centaine de chars lourds, Challenger, Léopard et Abrams. Remarquez, il le dit clairement, « il ne faut pas écraser la Russie » tout en laissant la Russie écraser l’Ukraine par une agression dont la barbarie dépasse tout ce que la civilisation occidentale pouvait imaginer.
Qu’importe. M. Poutine vient de prononcer un discours pour l’anniversaire de son « opération spéciale » en soulignant que « C’est eux (les occidentaux) qui ont fait éclater la guerre et, nous, nous avons utilisé la force pour y mettre un terme » On croit rêver. Cette rhétorique devrait laisser les Russes ordinaires perplexes au sujet de l’avenir. Ils comprendront que la défaite n’est pas impossible, puisqu’il avertit qu’il pourrait être nécessaire de faire sauter le monde (recommencer des essais nucléaires !), tout en promettant une lutte sans fin avec l’OTAN, une alliance d’États évidemment beaucoup plus forte. Qui, si elle a vraiment voulu détruire la Russie, aurait la capacité de le faire. Et il dit “Occident” car il ne peut reconnaitre qu’un petit pays (quatre fois moins de population) et 28 fois moins de territoire puisse lui tenir tête ! Le ridicule ne tue plus…