Quand il s’agit d’Israël tout le monde (et sa mère…) devient spécialiste. A ce titre on se permet de tirer des plans sur la comète en faisant de prévisions – dans un concours des plus apocalyptiques. J’ai trouvé bon (cela illustre mon propos) de mettre en exergue un extrait d’une interview de Jacques Attali (Les Echos, 02.02.23) :
L’histoire humaine regorge d’exemples de personnes et de civilisations qui se sont consciemment ou non suicidées : de la décision des Troyens de mettre le cheval d’Ulysse dans les remparts de la ville au Brexit et à la destruction des forêts de l’île de Pâques et de la terre axiale des Mayas... la procrastination, l’opulence et la cécité ont conduit des civilisations fortes et fières à ignorer ce qui pouvait les blesser, jusqu’à ce qu’il soit trop tard pour y répondre. L’historienne Barbara Tuchman l’a décrit de façon convaincante dans son célèbre livre, The March of Folly, qui est toujours d’actualité aujourd’hui.
C’est le cas aujourd’hui pour de nombreux pays, et peut-être pour toute l’humanité, mais surtout pour Israël.
Avouez que la valeur faciale du propos a de quoi faire peur à tout un chacun qui souhaite comprendre ce qui se passe actuellement en Israël pendant que la guerre fait rage aux confins de l’Europe et que notre pays, comme il en a le chic, de temps en temps, est train de se payer un « trip » du côté de la révolte populaire pour raison (impérieuse) de changement des termes des retraites (entre autres pour les 52 régimes spéciaux parmi lequels ceux qui permettent une retraite à partir de 52 ou 57 ans).
Pourquoi Jacqus Attali écrit-il cela ? Parce qu’une nouvelle doxa qui met en branle tous les bien-pensants du monde, de l’Administration Biden aux USA jusqu’aux gnomes de Bruxelles en passant par le Conseil des Droits Humains de l’ONU, circule dans le monde, depuis deux mois : « Israël, une démocratie devenue illusoire » [titre L’(i)monde, 30.12.22 ]
Pour paraphraser Mark Twain « Les nouvelles de la disparition de la démocratie israélienne sont cependant largement exagérés »
Ce qui est en cause ce sont les agissements de la coalition électorale via le gouvernement mis en place depuis les élections du mois de novembre 2022.
J’ai essayé de comprendre ce qui se passe en me souvenant que, dans un passé pas si lointain, tous les partis disaient qu’une réforme judiciaire (et de la Cour suprême) était nécessaire. Tous ceux qui étaient pour, sont maintenant contre, sauf, naturellement, ceux qui veulent enfin faire ce qui semblait nécessaire depuis des lustres. Les changements qui vont devenir lois ont trait à l’équilibre des pouvoirs entre le pouvoir judiciaire, le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif du gouvernement - question qui fait habituellement l’objet de débats entre les universitaires et les blaireaux (regardez le Larousse !) israéliens depuis plus de trois décennies. Ce qui est prévu devrait atténuer les vastes pouvoirs de la magistrature (juges des cours diverses, procureurs, conseils ministériels, etc.,), un corps qui recrute parmi ses collègues professionnels ceux qui vont occuper des postes à vie où ils n’ont pas de comptes à rendre à l’électorat. On le sait, Israël ne dispose pas d’une constitution qui pourrait restreindre les décisions des tribunaux si elles ne sont compatibles avec elle. Mais en Israël, par exemple, il n’est pas nécessaire qu’une partie qui présente une affaire ait qualité pour agir – un intérêt direct et personnel dans l’issue du différend. En Israël, n’importe qui peut déposer un dossier sur n’importe quelle question.. Les tribunaux israéliens (peu ou prou, émanations de la Cour Suprême) ne reconnaissent pas non plus la distinction entre des questions juridiques — réglées aux États-Unis par les tribunaux — et les questions politiques, y compris les tactiques et les nominations militaires, qui, aux États-Unis, sont laissées aux branches politiques.
De plus, la Cour suprême d’Israël a décidé de pouvoir fonder ses décisions sur ce qu’elle juge « déraisonnable ».
Il se trouve qu’ils représentent, en même temps, les intérêts d’un establishment politique, économique et médiatique habitué (depuis des lustres) à imposer sa volonté au pays. Tant et si bien, que la Cour Suprême du pays est devenue, par des changements inoffensifs, multiples, une loi en soi. Elle peut annuler tout ce qu’elle veut, quand elle le veut, quand elle pense que le gouvernement choisi par les électeurs a fait quelque chose qu’une majorité de ses juges considèrent « déraisonnable ». Et comme les affaires sont réparties, d’habitude, à trois juges, un peut être en désaccord avec la décision, donc deux juges peuvent annuler une loi édicté par la majorité des députés. Curieuse démocratie, non ?
Mon analyse me guide à dire que deux conflits sont visibles : l’un judiciaire et l’autre social. Et que ce deuxième conflit atteint, je crois, son paroxysme. Je vais, donc, regarder de plus près ce qui me fait dire cela. Pas besoin de rappeler la situation exceptionnelle d’Israël sur, presque tous les plans : économique, scientifique, technologique, militaire. Même parmi les pays où les gens se trouvent heureux de vivre
Cependant, parmi les pays de l’OCDE, Israël n’a derrière elle que la Bulgarie et le Costa Rica pour l’indice de pauvreté le plus élevé
Indice de pauvreté - % de la population dont le revenu est inférieur au seuil de pauvreté, seuil habituel=1/2 niveau médian ; France seuil=60% niveau médian). Sa position dans le monde : 97ème place parmi les 189 pays, (la France – 141ème). Le pays avec le taux de pauvreté le plus important au monde : la Syrie.
et pour les inégalités (coefficient Gini) Israël se trouve à la 28ème place parmi les 35 pays de l’OCDE ;
Le coefficient de Gini, ou indice de Gini, est une mesure statistique permettant de rendre compte de la répartition d'une variable (salaire, revenus, patrimoine) au sein d'une population. Autrement dit, il mesure le niveau d'inégalité de la répartition d'une variable dans la population.
Ces données permettront d’affiner l’analyse. Regardons la composition démographique d’Israël :
Population qui (selon PEW) affiche des positions politiques :
Ce qui précède me permet, je crois, de dire qu’il y a trois lignes de séparation dans le paysage démographique israélien (a) riches + classe moyenne supérieure vs pauvres + classe moyenne basse, proche des religieux, (b) ashkénazes vs séfarades (surtout religieux) et c) gauche vs droite. Il est un fait que 65 % des juifs israéliens (faites-moi confiance pour l’arithmétique) ont voté pour le BN+; les arabes israéliens = 10 mandats (ils ont dit avant les élections qu’ils ne soutiendraient pas un gouvernement), Likoud + 4 partis religieux = 64 mandats, opposition = 46 mandats donc les votes juifs sont de 65% pour le Likoud+ et 35% pour l’opposition. Opposition qui représente les riches + classe moyenne supérieure.
En d’autres termes, 2/3 des Juifs israéliens ont voté en faveur de BN+. Les 64 mandats sont moitié Likoud et moitié religieux et, naturellement, le Likoud veut depuis 1977 changer beaucoup de choses (judiciaires, pour l’instant) tandis que les religieux veulent mettre l’accent sur le caractère juif de l’Etat. Par conséquent introduire beaucoup de choses "non laïques" et c’est ce deuxième conflit, arrivé à une sorte de paroxysme, qui rend un compromis très, très difficile.
Ajoutez le fait que les anti-réformateurs ont exprimé à plusieurs reprises qu’ils sont sûrs de pouvoir obtenir l’annulation complète de la réforme en faisant pression sur les dirigeants politiques avec des manifestations qui regroupent des dizaines de milliers de citoyens (voir une centaine de mille, de temps en temps, soit 1% de la population). De leur côté, les adeptes des reformes croient qu’ils peuvent réussir, via le processus législatif normal, ayant gagné les élections et que, dès lors, il n’est pas nécessaire de s’engager dans un compromis. Bien sûr, ceux qui sont visibles et qui vocifèrent, éructent, patafiolent, sont ceux qui ont perdu les élections. Hommes politiques, généraux en manque de commandement, chefs d’administrations diverses « économistes » de tout poil, universitaires, même des Prix Nobel – bref, ceux qui risquent la perte éventuelle des leviers de pouvoir et n’entendent pas renoncer à ce qu’ils ont construit patiemment pendant des dizaines d’années en faveur d’une « plèbe » de « déplorables » (pour les nommer comme Mme Clinton a nommé les électeurs de M. Trump). Yair Lapid, dernier Premier Ministre, est dans les rues de Tel Aviv, distribuant des drapeaux israéliens (payés par les libéraux américains par le biais du New Israël Fund), s’opposant à la négociation à moins que le gouvernement n’accepte de cesser de gouverner, et appelant à une révolution violente. « Il y aura du sang » a-t-il dit. Bon, on sait, la spécialité politique de pas mal d’hommes de gauche c'est de manipuler les crédules, les ignares mais surtout ceux qui ne veulent pas savoir et cette masse du peuple représente souvent une moitié ou plus d’une population.
Et tout est bon pour vilipender le Premier Ministre (même sa femme…), accuser les protagonistes de la reforme de pis que pendre (fasciste est un vocable gentil par rapport à ceux utilisés) y compris les prévisions apocalyptiques qu’ils font ou qu’ils demandent de faire à leurs amis étrangers.
Le résultat de tout cela ? Faire sentir (croire ?) à la moitié du pays qu’il y a vraiment une guerre contre elle. La peur à gauche est très, très palpable. Le problème avec l’état émotionnel généré par ce comportement politique est qu’il rend le dialogue très difficile sinon impossible. Si la base centre-gauche (riches/classe moyenne supérieure) a peur, les dirigeants politiques doivent montrer qu’ils les défendent. Et quand vous le faites savoir et que vous décrétez que c’est une guerre contre la démocratie, c’est très difficile de faire des compromis. Et tout commence à se déglinguer.
Un exemple politique. Un député du centre/gauche à propos d’un ministre : Ce ministre n'a-t-il pas évoqué l'introduction de la peine de mort? (Pour les terroristes coupables d’assassinat - MB) Et on peut forcément penser que cette peine pourrait s'appliquer, non seulement aux meurtriers palestiniens, mais aussi aux manifestants politiques. 27 février 2023 à 11:15
Un deuxième. Si cette famille veut se comporter comme la famille israélienne Ceausescu, alors elle finira comme la famille roumaine Ceausescu – ceci circule sur les réseaux sociaux. (la famille de BN - MB).
Comme disait Cioran le passage de la logique à l’épilepsie est consommé… (Précis de Décomposition)
Un exemple économique. Avec des variantes, pratiquement tous les médias d’Israël :
Moody's warns judicial reform could put Israel at 'long-term economic risk'
Et en petits caractères: ”The investor service keeps Israel's A1 positive credit rating (similar to the UK, and better than some EU countries, such as Italy and Poland), but warns that "at long term there could arguably be downward pressure on those scores if the Israeli government fully passes the legislation”.
J’ai mis en rouge ce qui change complètement le sens du texte en gras. Un exemple de désinformation, incitation occulte à faire peur aux gens, en général, et aux investisseurs étrangers, en particulier. C’est comme cela que l’on créé des psychoses.
Naturellement, ceux qui (de gauche, du centre et de droite) pensent qu’il faut raison garder essayent d’expliquer (mais personne ne les écoute) : Nos ennemis — ceux qui veulent notre disparition — ont conclu que nous sommes plus efficaces qu’eux pour nous critiquer.
Et une égérie de la gauche (parti travailliste qui dispose de 4 députés -après avoir dirigé le pays plus de 30 ans) pour montrer l’ouverture d’esprit de ceux qui s’opposent à la reforme : Merav Michaeli a tweeté : « Netanyahu doit annoncer une cessation complète du processus de réforme judiciaire qu’il a essayé de mener à bien. Aucun compromis et aucune négociation. Annulation totale» (JP, 06.03.23)
Mais les chiens aboient et la caravane passe … The €3 billion deal for the Israeli anti-missile system looks set to go ahead after German Chancellor Olaf Scholz met with US President Joe Biden last Friday (Globes.co, 08.03.23). La couverture anti-missiles pour l’Allemagne, Belgique, la Bulgarie, la République tchèque, l’Estonie, la Finlande, la Norvège, la Lituanie, la Lettonie, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie et les Pays-Bas. Contrat pluriannuel avec un pays qui n’est plus démocratique ? Certes, les amis d’Israël, la France, l’Italie et la Pologne n’en font pas partie.