Israël. Un pays qui, avec seulement 9,5 millions d’habitants, se place parmi les 10 premiers exportateurs du monde pour des technologies et produits militaires, dispose d’un PNB/habitant de plus de 52.000 $ (20% de plus que la France, supérieur à ceux d’Angleterre et d’Allemagne) et, que dire de plus, fait partie des quatre premiers pays les plus heureux du monde ! Ce qui n’empêche pas les leaders de la « communauté internationale » (Etats Unis, Europe et autres) de le critiquer en lui donnant des leçons de bien séance démocratique. Comme on le voit tous les jours depuis qu’un nouveau gouvernement, dûment élu, est en train de vouloir changer des choses qui pèsent sur une grande partie de l’électorat juif (65% des votants) depuis plus de 40 ans. Et il n’y a pas de limite qui ne soit pas dépassée : l’ineffable « czar » des affaires étrangères de l’Union Européenne (J. Borrell, l’homme qui se photographiait avec le Hamas à Gaza – Hamas considéré organisation terroriste par son Union) a convoqué un colloque appelé « Détérioration de la démocratie en Israël et ses conséquences pour les « territoires occupés »). « Dire des idioties, de nos jours où tout le monde réfléchit profondément, c’est les seul moyen de prouver qu’on a une pensée libre et indépendante » (Boris Vian).
Comment est-on arrivé à ce qui se passe aujourd’hui en Israël? J’avais intitulé le dernier texte mis en ligne « J’ai essayé de comprendre ». Je continue.
Il me semble que la chose la plus importante concernant Israël, que le monde ne comprend pas, c’est que l’État juif a été fondé sur la base du scepticisme, historiquement justifié, quant à la possibilité d’un régime libéral, où que ce soit dans le monde, de protéger les juifs. Au cours du XIXe siècle en Europe les juifs libéraux, assimilés, pensaient que le triomphe des valeurs des Lumières allait leur permettre de vivre libres et en sécurité : on sait ce qui est advenu au cours du XXe siècle.
Fin de la deuxième guerre mondiale. Découverte de l’horreur, sans égale, de la destruction en Europe par l’Allemagne (mais pas seulement elle) de plus de six millions d’êtres dont le seul pêché était d’être juifs. Et après presque 100 ans de tentatives multiples et diverses pour construire un foyer national pour les juifs, habitués à être subjugués, expulsés, sujets à des pogromes et autres moyens de destruction, l’ONU légifère avec l’assentiment de la majorité des Etats qu’elle réunissait, de créer un état juif sur une partie de son ancien territoire historiquement non contestable depuis la Bible. Fast forward : des groupes, pour l’essentiel, anciens immigrants d’origine russe, d’obédience socialiste, déjà installés dans ledit pays depuis des lustres commencent à créer ce qui est devenu un des miracles du monde moderne : renouveau de la langue, de la culture, des connaissances nécessaires pour assurer le développement d’un pays et, naturellement, création d’une armée populaire qui 75 ans après sera considérée comme la quatrième armée du monde (RadioJ, 02.01.23). Avec le temps, ceux que je viens d’évoquer et, surtout, leurs descendants ont constitué, à raison, l’establishment israélien.
La partie la plus libérale de « l’establishment » israélien trouve ses racines dans « l’ascendance ashkénaze » qui a dominé Israël pendant les premières décennies après l’indépendance, comme les WASP ont dominé la vie américaine cent années plus tôt. Mais avec le temps, l’afflux d’immigrants Séfarades et Russes, en parallèle avec la croissance rapide des religieux et ultra-orthodoxes, commençait à contester la prépondérance des élites largement occidentalisées. C’est la poussée démographique de ces groupes qui a amené la dérive d’Israël vers la droite, tout d’abord, en économie et dans le domaine de la défense et de la sécurité. Mais l’ancien establishment est resté bien présent et prépondérant dans les domaines de la justice, des universités et même dans des institutions de la défense. Les anciennes élites commençaient à se sentir de plus en plus aliénées par l’émergence d’une population moins occidentalisée, moins libérale, plus religieuse, plus du genre « Proche-Orient » et qui semblait destinée à changer Israël comme pays.
En même temps, ceux qui votaient à droite ont ressenti la discrimination et le mépris que l’establishment leur réservait et ce sont réunis derrière des leaders comme Begin, premièrement et Netanyahou ensuite. Leaders moins ouverts aux idées libérales américaines et, dès lors, moi vulnérables à la pression américaine (Administration, media, organisations juives). À laquelle leurs prédécesseurs ou leurs adversaires politiques avaient l’habitude de céder pour ceci ou pour cela.
Pendant les 46 années qui ont suivi l’élection gagnée par la droite (1977), le Likoud et ses alliés ont continué de gagner des élections à maintes reprises, mais ils n’ont jamais été au pouvoir au sens propre du terme. Par le système judiciaire, la bureaucratie, la défense, le milieu universitaire, les élites culturelles, les médias et certains des acteurs économiques, la doxa de la gauche a continué à dominer les centres de pouvoir d’Israël. En fait, peu importait qui étaient les ministres, la vieille garde a poursuivi une sorte d’insurrection obstructionniste. Tant et si bien qu’une grande partie de la population du pays se sentait discriminée, depuis des années, par un monde judiciaire, en particulier une Cour Suprême, se conduisant comme un bastion de gauche. 45 ans après, à l’occasion d’une deuxième victoire électorale de la droite, le gouvernement élu est en train de vouloir corriger les défauts du système par une réforme judiciaire. Pendant des années on a parlé de la nécessité d’une réforme juridique, mais un ministre qui osait amorcer une volonté de changement se voyait immédiatement sujet à l’ouverture d’une enquête criminelle contre lui (et on trouvait toujours quelque chose à mettre en épingle) ce qui faisait qu’il fermait sa bouche et, souvent, on mettait fin à ses activités. Le résultat est que la réalité juridique pour les Israéliens, qui n’étaient pas membres des secteurs privilégiés, la « justice », était difficile et frustrante. Démocratie …
Il y a, actuellement, un débat sur le fond d’une réforme judiciaire, mais il y a, surtout, un débat plus approfondi à caractère social qui s’ étend à celui de l’identité et de la culture. La gauche israélienne, l’establishment en charge depuis 45 ans, estime qu’elle est assiégée et que le pays va très, très vite lui être arraché. La droite israélienne estime qu’elle a enfin une chance de corriger un tort historique qui l’a freiné de façon antidémocratique depuis deux générations. Droite qui n’arrête de dire cela depuis deux générations. Ce qui nous amène à des comportements d’ordre viscéral qui rendent très difficile, voire impossible, d’imaginer un dialogue qui pourrait créer par des compromis une meilleure réforme, réforme que la majorité du pays, d’ailleurs, veut vraiment.
Mais cette fois ci, la droite est déterminée à défier les lois de la gravité politique en ne fléchissant pas sous la pression de la gauche, mettant fin à la longue série d’initiatives torpillées pour réformer le système judiciaire. En suivant, peu ou prou, le système judiciaire anglais (pays manquant d’une constitution, comme Israël). L’Angleterre est-elle un pays démocratique ? Israël le restera même si la réforme de la droite est actée. Ce que les multiples manifestations en cours en Israël montrent c’est (a) que le pays est profondément démocratique (car autrement il n’y aurait pas des manifestations…) et (b) la réaction de ceux qui sentant risquer de perdre les pouvoirs détenus détiennent une emprise totale sur les centres de pouvoir de l’État.
Naturellement, l’hystérie apocalyptique incitée/organisée/subventionnée par les amis de la gauche israélienne, par l’Administration Américaine et/ou l’Union Européenne (via les NGO’s recevant de dizaines millions de $ bien utilisés pour, au fond, réduire les pouvoirs de l’Etat) impressionne. Quand on vous dit que « 260 économistes prédisent la banqueroute du shekel et/ou de l’économie israélienne » (I24News 03.03.23) et vous êtes un citoyen lambda … on prend peur. Quand on vous dit que « la CEO de Papaya Global a décidé de sortir ses fonds -500 millions de $- d’Israël et qu’elle recommande à ses relations High Tech de faire de même » (lphinfo.com, 26.01.23) (il y a une justice … elle a mis des fonds dans la SVB qui a fait faillite !) et vous êtes un citoyen lambda … on prend peur. Quand on vous dit que 1.000 réservistes et 200 pilotes de l’armée israélienne (qui a 166.000 d’actifs et 425.000 réservistes - Google) ont annoncé qu’ils ne se présenterons plus à l’entrainement si la réforme n’est pas annulée … et vous êtes un citoyen lambda … on prend peur. J’avais déjà cité Cioran « le passage de la logique à l'épilepsie est consommé »
Heureusement, les choses sont différentes. Au plan économique, à part le mouvement de recul général de la High Tech aux Etats Unis (et en partie en Europe) l’économie israélienne ne souffre pas.
Ce qui précède semble difficilement être de preuves d’un manque de confiance dans l’économie israélienne, me semble-t-il. Alors ?
Le professeur Yisrael Aumann, prix Nobel d’économie en 2005, affirme que l’intervention "inacceptable" du système judiciaire actuel dans la vie quotidienne des Israéliens est "nuisible", en dépit de l’opinion opposée de bon nombre de ses pairs. « Les opposants à la réforme affirment que le système judiciaire soutient la démocratie, mais le contraire est vrai", a-t-il déclaré. "Les tribunaux et le système judiciaire maintiennent une dictature continue, ils peuvent décider ce qu’ils veulent et rien ne peut les arrêter. … Les juges sont élus par des organes politiques dans de nombreux pays, et je pense que ce ne serait pas terrible si la coalition avait une voix décisive au sein du comité (qui élit les juges à la Cour Suprême – MB). En tout cas, il y a 15 juges et seulement quatre pourraient être remplacés dans les années à venir, il n’y a donc pas lieu de craindre que la cour devienne soudainement une dictature»
Il croit que les prévisions désastreuses des économistes sont « irresponsables et fondées sur rien ». « Ils sont irresponsables parce que la prédiction entraînera une prophétie auto-réalisatrice, et cela peut effectivement arriver. Mais je pense que les investisseurs avisés attendront qu’ils pensent que l’économie a touché le fond, puis qu’ils investiront et qu’il y aura à nouveau un grand boom économique parce que les prophéties sont totalement sans fondement et que l’économie elle-même est robuste »,. (Arutz 7, 24.03.23)
Et une ancienne employée de la Cour Suprême : « Pourquoi appuyer la réforme actuelle (malgré ses distorsions)? Comme première étape, critique, qui commence par la guérison de la tête, de la Cour suprême, alors, espérons, il y aura un changement fondamental dans les poursuites et la police. Non, cela n’a rien à voir avec la droite politique (je suis d’une famille irakienne, de ceux qui étaient membres du mouvement communiste) rien à voir avec le Likoud (qui depuis qu’il s’est levé en 1977 avait peur de déplacer ce qui était été mis en place), certainement pas avec Netanyahou (qui avait été renvoyé devant le système judiciaire pendant 13 ans en tant que premier ministre. Jusqu’à ce qu’il ait gagné les élections et compris d’où venait le mal. » (Globes.co.il)
La droite pourra-t-elle, cette fois-ci, enfin, réaliser ce qu'elle pense être nécessaire depuis 45 ans ? Les paris sont ouverts mais ... comme on a l'habitude de dire "un mauvais compromis c'est mieux qu'un bon procès" il n'est pas exclu que la ligne droite soit encore évitée en faveur d'une contorsion nécessaire pour tranquilliser tous ceux qui préfèrent le statu quo. Garant de la paix des esprits.