La fumée blanche. Comme pour l’élection d’un pape on a attendu. Enfin sortie de la « Citadelle » (J-M. Blanquer, 09.2024), on s’est demandé s’il fallait attendre aussi, un peu (comme pour un pape) : duas habet et bene pendentes. Et après avoir usé nos neurones pour peser le pour et le contre pour la dame Castets, le socialiste Cazenave, le républicain Xavier Bertrand et le (quoi ?) Thierry Beaudet, on a appris la nomination de Michel Barnier.
Bon. L’essentiel c’est que nous ayons un chef de gouvernement. Que ce soit un politicien blanchi sous le harnais -activiste politique de 26 à 71 ans, c’est à dire qu’il a toute sa vie durant émargé au budget de l’état sans avoir eu à connaître une fiche paye du privé, passons. Qu’il soit représentatif de l’establishment politique que les électeurs viennent de rejeter en masse à l’occasion des élections européennes et législatives et qu’il soit connu comme le « Joe Biden français » vu la longévité de ses services comme député, ministre (quatre fois) et/ou commissaire européen, soit. Mais qu’il soit choisi (et accepte) pour sortir notre pays du magma de ses difficultés actuelles… cela paraît pour le moins téméraire.
Téméraire car, tout en étant en service commandé, il va se trouver entre « a rock and a hard place » (so to speak). J’explique.
Notre excellent Président, après avoir constaté le résultat des élections européennes, nous a fait savoir, le soir même, qu’il voulait une « clarification » de la part du peuple, après que le rassemblement national (RN) de Madame Le Pen ait pris la première place en faisant perdre à son camp la position de premier parti de la République. Il a décidé, illico, la dissolution du parlement et a perdu sa majorité relative et a gagné une Assemblée Nationale ingouvernable, partagée en trois blocs, presque égaux. Le chaos craint par les divers acteurs (économiques, surtout, mais pas seulement) était là. De plus, en appelant à sa rescousse, en sortant de sa naphtaline, « le front républicain », il a réduit à zéro la probabilité de voir le RN diriger la France. Mais, la cerise sur le pompon, il s’est trouvé avec les extrémistes trotskistes de M. Mélenchon adoubés par la secte communiste (2,3% aux élections présidentielles de 2022), par les vestiges du parti socialiste (Mme Hidalgo 1,7% aux même élections) et, naturellement, par les écologistes comme premier groupe (nombre députés) à l’Assemblée nationale. Et qui réclamait, haut et fort le droit de former le gouvernement. Ce que le pompier pyromane n’avait pas imaginé possible et devait éviter quel qu’en soit le prix. Le prix ?
Étant donné que le bloc pro-Macron et les autres partis de centre-droit (si, il en reste) n’ont pas de majorité ni absolue ni relative, le parti de Madame Le Pen détiendra un veto de facto sur la politique gouvernementale pouvant voter sa censure si bon lui semble, par exemple avec le bloc Mélenchon (comme ils l’ont fait au moins dix fois dans l’ancienne Assemblée).
Et voilà qu’au bout de plus de 50 jours il est obligé de demander à Madame Le Pen qu’elle veuille bien accepter le gouvernement de M. Barnier tout en lui laissant le droit de le censurer si ce gouvernement va trop à l’encontre des souhaits du RN. En clair, nous voilà dans une « cohabitation » Macron – Le Pen, pour le meilleur et pour le pire qui va, probablement, durer au moins, jusqu’au moment quand une nouvelle dissolution est possible (juin 2025) ou jusqu’aux élections présidentielles de 2027.
Qui l’eut cru ? Certainement pas notre pompier pyromane. Mais probablement, Madame Le Pen non plus, car le RN se trouve dans une position que l’on ne pouvait pas imaginer : avoir un droit de véto sur un gouvernement qui, qu’il le veuille ou pas, devra lui être agréable et cela sans l’ombre d’une responsabilité.
Pauvre France…
Revenons à Michel Barnier. Comme il a voulu, jadis, se présenter à une élection présidentielle (tout en disant pis que pendre des deux derniers quinquennats de MM. Hollande et Macron) il a laissé des traces de ce qu’il promettait de faire. J’en choisi deux : « un moratoire de trois à cinq ans pour l’immigration » et la « modification de la relation du droit français par rapport au droit européen », en clair la prééminence du droit français sur celui de l’Europe dont le corset est trop serré pour notre pays.
Certes, pas responsable de ce qu’il trouve, regardons les choses avec lui. Un moratoire pour l’immigration serait applaudi de deux mains par le RN. Est-il possible ?
Entre 2019 et 2022, les préfets ont prononcé 447.257 obligations de quitter le territoire français (y compris outre-mer), un chiffre beaucoup plus élevé qu'il y a encore quelques années. On « compte » (par hypothèse, on ne peut pas compter car…) 500.000 « clandestins » arrivant en France tous les ans.
Sur les cinq dernières années, le nombre de OQTF délivrées a augmenté de 60%. Mais seule une petite minorité, moins de 10%, des obligations de quitter le territoire français a été exécutée, se traduisant par le départ effectif de la personne qui en est destinataire. L’IFRAP nous apprend (05.12.23) « Il apparaît que le taux d'exécution des OQTF pour 2022 atteint 6,8% (soit 9.078 unités), en hausse de 0,8 point par rapport à 2021 »
Bonnes gens, quand on a 500.000 qui rentrent tous les ans et seulement 6,8% qui sont réellement expulsés c’est, quand même, ridicule de faire savoir qu’il y a un progrès de 15% (comme M. Darmanin l’a fait récemment).
Mais comment M. Barnier arrêtera-t-il le flot de 500.000 ? La France n’ayant plus de frontières contrôlées avec ses voisins, nul ne peut s’opposer au libre passage des biens et de personnes. Certes, Bruxelles a décidé que si l’on ne veut pas d’immigrants (réguliers !) on devrait payer 20.000€/immigrant. « 331.000 immigrés sont entrés en France en 2022 selon le recensement de la population, tandis que 319.000 premiers titres de séjour ont été délivrés cette même année. 330.000 x 20.000=6,6 milliards € que nous n’avons pas (la dette de notre pays ne fait qu‘augmenter). La situation de la France (mauvaise l’année dernière) se dégrade, car bien que nous vivions sous le parapluie de l’euro les prêteurs internationaux commencent à s’inquiéter de sa dette (comptable, 3.150 milliards d’euros - 111% du PIB et totale - avec la dette hors bilan, extra-comptable - plus de 8.000 milliards €). Puisque le déficit budgétaire dépasse 5,5% du PIB (Maastricht tolère 3%) la France doit emprunter entre 250/275 milliards d’euros chaque année (pour couvrir son déficit budgétaire, son déficit commercial et rembourser une partie de la dette). Bruxelles a lancé une procédure contre la France et, d’un autre côté, les prêteurs augmentent leurs taux : l’Allemagne emprunte à 2,52% tandis que la France emprunte à 3,38%. Tant et si bien qu’en 2025/2026 les intérêts que la France payera seront supérieurs à 75 milliards d’euro soit le premier poste du budget (la Défense=49 milliards).
Monsieur Barnier ne pourra pas mettre en place son moratoire et le RN pourrait le lui en vouloir avec les conséquences que l’on peut imaginer. Mais il y a mieux (ou pire) : « La société et le territoire français se disloquent sous la pression de la paupérisation, de la contagion de la violence et de l’extrémisme. Les attentats et les actes antisémites se multiplient. La Nouvelle-Calédonie plonge dans le chaos et la misère,… Dans l'ensemble, l'impôt sur les revenus perçus en 2022 (donc déclarés en 2023) repose sur un nombre de plus en plus restreint de contribuables. Aujourd'hui, les 10 % les plus aisés payent 76 % du total, un chiffre en augmentation régulière - la proportion était de 74 % pour les revenus perçus en 2020, puis 75 % pour ceux de 2021. Selon la DGFIP, ces Français les plus aisés sont ceux qui perçoivent un revenu mensuel supérieur à 2.740 euros (pour un célibataire sans enfants). Sur les 40,7 millions de foyers fiscaux, moins de la moitié (44,7 %) payent les 82,1 milliards d'euros de recettes générées par l'impôt sur le revenu, selon un document du fisc. À titre de comparaison, en 2013, 52,3 % des foyers fiscaux étaient effectivement imposés. (Yvan Rioufol, Le Figaro). Requiem pour le moratoire.
J’avais choisi une autre promesse : modification de la relation du droit français par rapport au droit européen », en clair la prééminence du droit français sur celui de l’Europe dont le corset est trop serré pour notre pays au moins pour ce qui est l’immigration.
Je vais faire simple. Rien ne peut être changé dans le droit français sans l’autorisation du Conseil Constitutionnel. Qui, depuis longtemps et par une autorisation qu’il s’est donné tout seul, n’autorise rien qui contreviendrait au droit européen. Droit, jalousement gardé par Bruxelles, qui reste supérieur à celui de la France. Soyons fous : supposons que les socialistes du Conseil Constitutionnel autorisent ce qu’un républicain de droite veut ; le droit européen s’en contre-fiche, rien à faire. Bref, la deuxième promesse fondamentale de M. Barnier de 2022 restera dans le registre des paroles verbales.
Les enquêtes d’opinion montrent, à répétition, que nos concitoyens voudraient voir des progrès/changements, prioritairement, dans cinq secteurs, dans l’ordre : pouvoir d’achat, santé, sécurité, immigration, dette et dépenses publiques.
Le pays s’est désindustrialisé, sa balance commerciale est déficitaire vis-à-vis de l’étranger de 50 à 70 milliards/an depuis quelques années (Direction des Douanes et des Droits Indirects, 07/24), son PIB ne croissant pas aussi vite que la population (immigrés réguliers et clandestins, bon an, mal an entre 700.000 et 800.000, contribution négative au PIB car soit inemployés soit emplois faible valeur ajoutée), bref, le pouvoir d’achat ne pourra pas être amélioré quels qu’en fussent les efforts éventuels de M . Barnier.
La santé : rien à faire car on continue à fermer des lits et créer « des déserts médicaux » car pénurie de médecins grâce aux idioties des années 80 et au-delà concernant la formation de médecins en France ; idem pour les infirmières, auxiliaires de santé. Exemple : Hôpital de Nevers où des spécialistes doivent venir de Clermont-Ferrand ou, par avion, de Dijon. Je vous laisse supposer le coût d’une journée pour ces remplaçants.
La sécurité. Tout d'abord combien sont-ils en France, les policiers et les gendarmes ? C'est le ministère de l’Intérieur qui fait les calculs, on compte 144.000 policiers et 98.000 gendarmes, au total donc 245 000 représentants des forces de l'ordre. Si on regarde maintenant le classement établi par Eurostat, et bien, c'est vrai que la France figure en queue de peloton en Europe : 169 policiers pour 100.000 habitants, c'est largement moins que l'Allemagne, où on en compte 298 policiers, et même deux fois moins que l'Espagne, qui affiche au compteur plus de 500 policiers pour 100.000 habitants (Radio France). Le budget correspondant, env. 23 milliards d’euros (Loi des Finances 2024). Ajouter 50% en effectifs (pour être à la moitié d’Espagne) cela représenterait 12 milliards d’euros que nous n’avons pas. J’arrête là. Rien que pour la sécurité et l’immigration on devrait trouver 20 milliards d’euros et comme on ne sait pas comment faire on devrait s’endetter de la même somme, en clair rien ne changera et les objectifs de M. Barnier n’ont aucune chance d’être atteints.
Quo vadis Francia ? On ne le sait pas mais on y va avec beaucoup de conviction. Et des regrets pour ce que ce beau pays est devenu.