La Russie et le Hamas
Il n’a pas fallu une semaine pour que la Russie -membre du Quartette déclarant à Londres que rien ne sera fait avec le Hamas tant qu’il ne changera pas sa Charte pour reconnaître le droit a l’existence d’Israël, renoncer à la violence et épouser les accords préalables- par la voie de M. Poutine change la donne. Il vient d’annoncer sans fioritures aucunes que la Russie n’a pas considéré le Hamas comme organisation terroriste et qu’il se propose d’inviter ses dirigeants à Moscou.
M Poutine a utilisé comme argument majeur l’élection démocratique par laquelle le peuple palestinien a donné la majorité au Hamas. Et qu’il faut respecter. Comme la Russie a respecté l’élection démocratique de Hitler avec lequel elle a eu d’excellentes relations (y compris en lui livrant des communistes allemands) en signant, juste avant que la guerre ne se déclenche, le fameux Pacte Molotov – Ribbentrop.
Ce point d’histoire rappelé, que veut la Russie ?
La Russie , après s’être refaite une santé avec l’aide massive de l’Europe et des Etats-Unis (report de dettes, démembrement d’armes nucléaires obsolètes et dangereuses payé par les Etats-Unis, complicité vis-à-vis de sa guerre en Tchétchénie, etc.,) a pris la décision stratégique de récupérer son statut de deuxième puissance mondiale sans laquelle rien ne puisse être fait. Premier champ d’action (car agir en Afrique a été ruineux et sans résultats, agir en Asie serait se mettre sur le chemin de la Chine et l’Amérique Latine semble trop versatile avec des dictateurs fantasques ou de démocrates obsessionnellement anti-américains) : le Proche et le Moyen Orient. Voilà la Russie allié aux régimes terroristes de l’Iran et de la Syrie , il était normal que la victoire du Hamas ajoute un maillon à la chaîne en cours de constitution.
Si l’on regarde les choses ainsi, la décision de l’Europe de laisser la Russie maître de l’enrichissement de l’uranium d’Iran est, pour dire le moins, inepte ou irresponsable, le cumul pouvant s’imposer. Pas seulement parce que rien ne prouve qu’elle ne donnera pas ce qu’il faut aux iraniens pour faire leur bombe. Surtout parce que l’on ne peut pas croire qu’elle ne voit pas, comme tout le monde, que la justification iranienne (besoin de sources d’énergie complémentaire) ne présente aucun caractère d’urgence pour au moins encore 100 ans compte tenu de ses ressources de gaz et de pétrole. Mais prendre la position qu’elle a prise, fournir des batteries de missiles (défensives) pour interdire toute attaque contre les centres nucléaires iraniens (connus ou secrets) présente un avantage évident : on s’oppose aux Etats Uns et on s’allie les « masses arabes ». Accessoirement, on espère atténuer le support musulman aux Tchétchènes. Le fait que dans toutes se diatribes (et posters) le Hamas s’identifie aux ennemis des Russes en Tchétchénie n’a pas l’air de gêner M. Poutine car, probablement, l’effet espéré est justement le contraire. Parler de transparence, clarté morale et éthique dans ses conditions est un exercice futile et sans intérêt. Il doit s’agir de Real Politik, essayons de voir plus clair.
Il y a deux ans, Novaya Gazeta a publié un essai appelé la « Forteresse Russie, » mis à sa disposition, il semblerait, par une fuite en provenance du Kremlin. L'auteur anonyme mais, semble-t-il une des intellectuels de haut vol actuels, soulignait que si la Russie voulait se développer plus rapidement que le reste du monde (pour rattraper son retard), elle devrait le faire à l’abri d’un mur de protection. Le mur n’aurait qu’une porte contrôlée par une agence spéciale qui déciderait ce qui pouvait entrer et sortir. Le corollaire évident était la re-nationalisation des secteurs essentiels pour le développement de la Russie.
D’un autre côté, c’est un fait patent que l’essentiel de la croissance économique russe est fondée à plus de deux tiers sur les revenus des secteurs gaziers et pétroliers (plus ceux de la vente de matière premières ou de produits de première transformation). La proportion équivalente pour l’Arabie Saoudite est de 93 %. A la lumière de ce qui précède, les manoeuvres du Kremlin, couronnées de succès, pour s’assurer du contrôle de Gazprom et par son intermédiaire du contrôle des deux autres géants pétroliers (Yukos et Sibneft) font comprendre que quelque chose de fondamental est en train de changer dans la stratégie russe, que ce changement soit relatif à la sphère économique ou à celle politique ou de préférence aux deux. En effet, pendant les vingt dernières années les quantités de pétrole découvertes sont significativement plus faibles que celles consommées. De plus, la demande vient de territoires éloignés des sources d’exploitation où, de plus, on a besoin d’investissements plus lourds pour obtenir les mêmes quantités. Et parce que la demande de cette ressource précieuse se développera, selon certains, de plus de 40% d'ici 2025, la prospérité économique du monde demandera beaucoup plus d’énergie venant d’autres sources.
Energies fossiles, non renouvelables, probablement en fort épuisement dans les vingt/cinquante ans à venir, leur contrôle est essentiel à court terme mais il est non moins essentiel de s’occuper de leur remplacement.
Deuxième corde à l’arc russe : l’énergie nucléaire civile. La communauté internationale s’est polarisée, à juste titre, sur les efforts évidents de l’Iran pour acquérir une capacité nucléaire militaire. Ce faisant, personne ne s’occupe du réacteur nucléaire de Bushehr, construit par les russes, pour générer de l’électricité. Ni de ceux de Tienwan (Chine) ou Kundankulam (Inde). Pourtant, les deux derniers pays sont crédités d’un besoin cumulé de 50 à 100 îlots nucléaires de 1.000 Mégawatts pour les cinquante années à venir. C’est dire que la Russie prépare la relève des énergies fossiles et son positionnement comme acteur incontournable du futur marché mondial de l’énergie.
Energies fossiles, énergie nucléaire, la Russie devient une grande puissance non pas sur le fondement de ses armes de destruction massive mais sur le contrôle, tant qu’à faire mondial, de la distribution de l’élément essentiel pour toute activité économique. Le récent conflit avec l’Ukraine n’a probablement été que le test d’un algorithme de décision visant à faire croire que c’était la dérive démocratique de ce pays qui était en jeu. En réalité, on a montré à ceux qui devraient voir et comprendre qu’il est beaucoup plus facile de tourner un robinet que d’envoyer des fusées même (dernière déclaration de M. Poutine) si elles peuvent pénétrer tout système d’anti-missiles.
L’Europe qui, au moment du premier choc pétrolier de 1970, n’a pas voulu suivre la suggestion de Reagan de ne pas accepter le « deal » soviétique « du gaz contre des pipelines » se trouve aujourd’hui prisonnière du gaz russe. L’Allemagne (38 % de sa consommation), l’Italie (30 %), la France (26%), la Grèce (82%), l’Autriche (74%) sont, naturellement portées à faire attention à la manière dont elles s’opposeraient aux ambitions géopolitiques de la Russie. Quant à la Turquie , dépendante à 62 % du gaz russe et à plus de 20 % du gaz iranien, il est légitime de s’interroger si la candeur avec laquelle elle observe le concubinage russo-iranien pour le nucléaire n’y trouve pas son origine. Comme d’emboîter le pas de la Russie pour légitimer le Hamas.
Se présenter comme un fournisseur fiable, comme la Russie le fait est certes une bonne chose, faire comprendre que l’activité économique de l’Europe dépend de la Russie , c’est mieux quand on veut être admis à l’Organisation Mondiale du Commerce et devenir membre de plein droit du G8.
La vulgate dominante attribue l’opposition de Poutine aux desseins américains aux aspirations de la Russie de continuer de jouer le rôle d’une superpuissance après l’effondrement de l'Union Soviétique et de favoriser une politique étrangère non seulement indépendante de Washington mais opposée à elle.
Les terroristes de Hamas ne sont pas les amis de Poutine. Seulement son régime est devenu un complice incontournable des programmes nucléaires iraniens. La Russie continue de lui transférer des technologies sophistiquées, en dépit des menaces génocidaires du président de ce pays contre Israël. Et le cocasse est que l’Iran, qui ne fait aucune confiance à la Russie , ne souhaite pas que l’enrichissement de son uranium soit fait par elle plus probablement pour des raisons civiles que militaires … Mai le Hamas est ami (d’aucuns le considèrent stipendié par) de l’Iran. Et les amis de mes amis sont, même si on les prend avec des pincettes, mes amis.
La vision géopolitique probable de la Russie au plan de la disponibilité d’énergie s’accompagne, aujourd’hui par des actions irresponsables concernant le « baril de poudre » du Proche Orient. En légitimant le Hamas, Poutine est en train d’y jeter des allumettes allumées.
Et l’Europe n’en peut mais car …avant que le tout dernier pipeline entre en service en 2010 elle sera sur le point d'une crise énergétique. Les dépôts en Mer du Nord qui fournissent à l'Europe du gaz s'approcheront de l'épuisement. La production se réduit en Norvège et aussi bien en Grande-Bretagne. La Russie de Poutine constituerait, donc, le salut du vieux monde.
Tout cela n’a rien à voir avec les soucis existentiels d’Israël dont la Russie et Poutine se soucient comme d’une guigne. Voilà la boucle bouclée : après avoir clamé haut et fort qu’elle n’aura pas à faire au Hamas tant qu’il ne changera pas, après l’avoir menacé d’isolation, la communauté internationale est en train d’isoler Israël. Cela prendra une semaine ou deux, la Russie y veillera et les raisons sont loin d’être celles que l’on pense.