Débat › La crise de la dette est-elle irréversible ?
Point de vue | LEMONDE.FR | 01.12.11 | 14h47
par André Grjebine, directeur de recherche à Sciences Po-CERI
Alors que la perspective d'une "décennie sans croissance" est envisagée pour la zone euro, l'Allemagne continue à exiger la rédemption par l'austérité des pays fautifs pour s'être trop endettés. Il est temps d'assurer un meilleur partage des efforts entre pays déficitaires et pays excédentaires, par exemple en instaurant un contrôle des déséquilibres courants entre les pays de la zone euro. C'est ce que proposait Keynes, à Bretton Woods, en 1944. Pour sa part, le secrétaire au Trésor américain, Tim Geithner, a proposé, en 2010, au G20, de demander à chaque pays de veiller à ce que son déséquilibre courant, déficit ou excédent, ne dépasse pas 4 % de son PIB.
L'ALLEMAGNE PIVOT DES DÉSÉQUILIBRES EUROPÉENS.
Sans nier les mérites du tissu socio-économique allemand et notamment le rôle de la concertation entre partenaires sociaux, il faut souligner que les excédents allemands résultent moins d'une performance que d'un déséquilibre domestique chronique entre l'épargne et l'investissement. D'où l'accumulation de l'épargne hors des frontières et donc des excédents extérieurs structurels. Le vieillissement de la société allemande explique sans doute, pour une bonne part, ce choix. C'est ce que répond le Président de la Bundesbank, Jens Weidmann. Au Financial Times qui lui demande, le 13 novembre, si, avec ses excédents extérieurs importants, l'Allemagne n'est pas une partie du problème pour les autres pays de la zone euro, il répond : "Un excédent ou un déficit n'est pas, en soi, quelque chose qui est toujours bon ou toujours mauvais. Si vous avez une population vieillissante, alors cela a un sens d'avoir un excédent commercial pour épargner dans cette optique, en accumulant du capital hors de votre propre pays." A son tour, ce choix a favorisé les spécialisations au sein de l'Union européenne. Les pays "épargnants" ont développé les industries fortement exportatrices. Les pays "consommateurs" ont davantage favorisé les services. D'où les excédents structurels des uns et les déficits structurels des autres. La même "division du travail" a lieu entre les Etats-Unis et la Chine.
La primauté donnée à l'épargne par rapport à la consommation immédiate justifie l'attachement des dirigeants allemands à la stabilité monétaire, c'est-à-dire la priorité qu'ils accordent à la protection de l'épargne, au détriment de toute autre considération. Mais, un pays ne peut être chroniquement excédentaire que si d'autres sont déficitaires. Il devrait donc accepter que ses principaux partenaires connaissent un endettement extérieur croissant. Il devrait également se féliciter quand ceux-ci appliquent des politiques expansionnistes qui soutiennent leur demande, dont une partie notable s'adresse aux importations.
PUNIR CEUX QUI ONT FAUTÉ
Les dirigeants allemands paraissent moins craindre une récession profonde en Europe que de laisser impunis les pays qui ne suivent pas leur "modèle" et de les voir réitérer à l'avenir ce qu'ils considèrent comme les erreurs passées de ces Etats. Or, les politiques d'austérité imposées sous l'égide de l'Allemagne paraissent à la fois nuisibles pour les pays qui les adoptent et contraires à la stratégie de croissance tirée par l'exportation de l'Allemagne. Elles n'ont pas seulement les effets sociaux et éventuellement politiques désastreux qu'on peut observer par exemple en Grèce ou en Espagne. L'affaiblissement de la croissance, voire la récession, qu'elles induisent contrarie le désendettement des pays à la fois parce qu'elles réduisent les recettes publiques et donc les capacités de remboursement, et parce que les marchés financiers deviennent réticents à accorder des crédits à des pays menacés de récession. De ce fait, les taux d'intérêt qui leur sont appliqués augmentent, rendant leur endettement de plus en plus coûteux. Certes, la Suède et le Canada sont parvenus jadis à sortir de la crise en appliquant des politiques de rigueur. Mais, ils l'ont fait dans une période de croissance mondiale qui n'a rien à voir avec la situation présente.
En affaiblissant durablement la croissance des pays "importateurs", l'austérité réduit les possibilités d'exportation de leurs partenaires. Mais surtout, elle risque de contraindre les pays les plus endettés à sortir de l'euro, voire à une implosion de la zone. Il s'en suivrait une forte appréciation d'un nouvel "euro" qui ne serait plus que la monnaie d'une "zone mark". L'Allemagne devrait alors, à son tour, s'enfoncer dans la récession.
L'écart croissant des taux d'intérêt entre Etats de la zone euro (le spread) a bénéficié à l'Allemagne dans la mesure où il lui a permis jusqu'à présent de financer ses emprunts à des taux beaucoup plus bas qu'à l'époque du deutschemark. Mais, non seulement il n'est pas évident que la méfiance des marchés à l'égard de la zone euro ne s'étendra pas à tous ses membres, mais surtout, on imagine la spoliation des créanciers qui suivrait l'extension de la crise à des Etats comme l'Italie ou la France, a fortiori une désintégration de cette zone. On en a vu déjà les prémisses d'une telle spoliation avec la demande récemment faite aux banques en faveur de la Grèce.
REVENIR AU PLAN KEYNES
Or, le mécanisme qui régit la zone euro, loin de réduire ces déséquilibres, ne fait que les renforcer. Il se caractérise par la même assymétrie que Keynes reprochait déjà, en 1941, à l'étalon-or de rendre "l'ajustement obligatoire pour les débiteurs et volontaires pour les créditeurs". Les premiers perdaient leurs réserves et devaient s'endetter pour financer leur déficit. Les seconds pouvaient neutraliser l'effet inflationniste des entrées d'or et accumuler des créances à l'infini. Le système qui fonctionne dans la zone euro n'impose, lui non plus, aucune contrainte aux pays excédentaires. C'est pourquoi pour éviter la répétition de crises d'endettement, il paraît nécessaire d'instituer un mécanisme de rééquilibrage progressif des échanges communautaires et un partage plus juste de la contribution de chacun à la croissance de l'ensemble. La référence au Plan proposé par Keynes s'impose. L'économiste anglais considérait que les pays excédentaires étaient aussi responsables des déséquilibres internationaux que les pays déficitaires. Il préconisait donc que, parallèlement aux contraintes pesant sur les pays en déficit, d'autres contraintes s'exercent sur les pays excédentaires. Il prévoyait qu'au-delà d'un certain montant et d'une certaine durée, des taux d'intérêt négatifs et donc pénalisant soient appliqués aux excédents de ces derniers.
La proposition allemande, à laquelle Nicolas Sarkozy se déclare prêt à souscrire, d'un nouveau traité renforçant la discipline budgétaire au sein de la zone euro risque de la condamner à l'asthénie en la privant de l'instrument d'action contre les récessions que sont les politiques budgétaires. En revanche, la mise en œuvre d'un mécanisme de rééquilibrage des balances courantes ouvrirait la voie à un politique communautaire dans laquelle les pays excédentaires seraient invités à relancer leur économie et à tirer ce faisant la croissance de la zone euro. Est-il inconcevable que l'Allemagne accepte une telle stratégie de croissance plutôt que de plonger la zone euro dans une récession durable ? Y-a-t-il une autre voie pour assurer la survie durable de l'euro ?