Après de longues années, les Palestiniens ont finalement conclu un accord de paix il y a trois semaines. Malheureusement, ils n’ont pas fait la paix avec Israël mais … avec eux mêmes. Et comme on ne fait la paix qu’avec ses ennemis, après avoir traité le Hamas d’assassin (voir ce qui s’est passé à Gaza en 2007), de terroristes et de suppôts de l’Iran, voilà Mahmoud Abbas « tourner la page » avec Khaled Meshaal, le chef du Hamas, au Caire sous les auspices des militaires égyptiens, nouveaux gardiens de la marche vers la démocratie de leur pays …
Certes, l’Europe (mais pas seulement) considère l’événement comme ayant une portée insoupçonnée car, maintenant, les palestiniens réunis sentiront, eux aussi, le changement de climat sous les vents du printemps arabe. Printemps arabe ? Méthode Coué oblige mais essayons de regarder de plus près.
Assister au retour accéléré de la république turque laïque à l’islam et vers un Iran dont la marche vers la bombe ne surprend plus personne, voir le Liban soumis aux volontés d’un Hezbollah aux ordres de l’Iran, supputer la position de premier plan que les Frères Musulmans s’évertuent à obtenir en Egypte sans oublier le reste des pays de Tunisie au Bahreïn en passant par la Lybie, la Syrie ou le Yémen conduit l’observateur à (se) poser des questions multiples.
Der Spiegel suggère que la situation actuelle, six mois après le commencement du « printemps arabe » (remarquez, six mois après le printemps on est en pleine automne …) devrait conduire à des effets différents en fonction des pays. Trois pays (Lybie, Syrie, Yémen) ont délibérément ignoré les appels de l’Occident en faveur de transitions démocratiques, les régimes en place et leurs dirigeants n’ayant pas hésité à faire donner les armes, peu sensibles au nombre de morts ou aux appels répétés des parangons de la démocratie occidentale. Mais le journal allemand, prenant sans doute ses vœux pour des réalités, veut faire croire que cinq pays (le Maroc, l’Algérie, la Jordanie, l’Arabie Saoudite et l’Union des pays du Golfe) se trouvent sur la (bonne) voie des reformes maîtrisées : en oubliant l’intervention militaire massive et décisive de l’Arabie Saoudite au Bahreïn pour y arrêter un soulèvement chiite (fomenté par l’Iran). Mais Der Spiegel n’hésite pas à faire croire que "la démocratie peut se développer" en Tunisie et en Egypte. Diantre !
Pour ce qui est des pays qui utilisent la manière forte pour oppresser ses populations il n’y a pas grand’chose à dire. Sauf de remarquer que l’on a décidé (sous l’impulsion de la France, d’ailleurs) de faire la guerre en Lybie (depuis trois mois, de milliers de sorties d’aviation pour détruire les installations et les équipements militaires du colonel, des tentatives de mettre en selle un « conseil représentatif » de l’insurrection qui ne représente aucun de grand 13 tribus qui constituent la pays) parce qu’il y avait danger d’un massacre de civils à Benghazi. Tandis que l’on ne fait rien, mais absolument rien, pour la Syrie où la dictature du fils Assad vient de mettre à son tableau de chasse un millier de morts en quelques semaines et environ 10.000 arrestations. Certes, ce n’est rien par rapport au massacre de 20.000 civils perpétré à Hama par le père Asad … Deux poids, deux mesures ? Trop simple … En réalité le colonel ou le prince héritier (la Syrie étant une république monarchique …) voyant comment l’Amérique (mais pas seulement) a traité Moubarak au bout d’une semaine de protestations populaires, ont compris que pour se maintenir il n’avaient qu’à faire le choix des armes. Ils l’on fait et l’Occident n’en peut mais …
Si l’on peut espérer un avenir démocratique pour la Tunisie (le plus civilisé, sans doute, des pays arabes) l’on doit en même temps se souvenir que les « islamistes » ont été pourchassés de ce pays depuis Bourguiba et pendant tout le règne de Ben Ali. Et ne pas occulter le fait qu’ils reviennent en force et qu’ils commencent à avoir pignon sur rue. Mais supposer une « extension » de la démocratie (comme si elle y était déjà présente …) en Egypte c’est aller vite en besogne. L’Egypte est aujourd’hui dirigé par un conseil militaire qui conduit le pays vers la démocratie … en organisant des élections présidentielles et pour une assemblée nationale. Laissons de côté la contradiction « régime de généraux » et « démocratie ». Tous ceux qui regardent la scène égyptienne constatent deux choses : (a) la seule force organisée est constituée par le Frères Musulmans et (b) le probable élu à la présidence n’est autre que le secrétaire général de la Ligue Arabe poste auquel il a été nommé par Moubarak, des années auparavant, excédé par sa haine d’Israël et son anti-américanisme virulent. Rien dans ce qui est visible actuellement en Egypte ne peut faire croire que ce pays est en train d’opérer une transition démocratique. D’ailleurs, si pendant le soulèvement contre Moubarak aucun slogan anti-américain, anti-occidental ou, même, anti-israélien (sauf en Lybie, regarder le colonel marqué de l’Etoile de David) ne fleurissait Place Tahrir, les choses on changé depuis : l’influence des Frères Musulmans se fait sentir de plus en plus et de jour en jour (destruction d’églises coptes, reprise des vociférations anti-israéliennes, promesses d’aide au Hamas – filiale palestinienne des Frères Musulmans, etc.,). Et ce qui ne ment pas c’est les affirmations répétées, aujourd’hui faisant florès, de la « classe politique » égyptienne selon lesquelles le traité de paix avec Israël (qui tient depuis plus de trente années) devrait être soit dénoncé soit, au minimum, revu.
Dans tout ce qui se profile à l’horizon il semblerait que l’Occident ne prend pas la mesure du détachement de l’Arabie Saoudite de l’orbite américaine, voir occidentale. Meurtris par le traitement infligé à Moubarak, les rois des divers pays, mais surtout celui de l’Arabie Saoudite, ne croient plus au vieux pacte (Abdallah – Roosevelt) « pétrole contre sécurité » et ont décidé de prendre leur avenir entre leurs mains. Riches (Arabie Saoudite, les pays du Golfe, etc.,) de milliers de milliards de dollars que l’Occident leur consent pour assouvir sa soif de pétrole, ils consacrent des centaines de milliards de dollars à l’acquisition d’armements (que le même Occident leur vend …) et à la constitution d’armées dotées d’un double objectif : assurer leur maintient mais aussi, mais surtout, faire pièce à l’Iran bientôt devenu nucléaire. Car ils ont compris qu’après plus de dix années de discussions futiles l’Occident n’aura pas le courage de mettre à genoux l’Iran s’il n’arrête pas sa marche vers la bombe. Mais d'ici à parler de "réformes" en Arabie Saoudite ... it's a long way to Tipperary" ...
Nos dirigeants ont la bouche pleine pour nous vanter la fantastique révolution arabe qui serait, à les croire, eux ou ceux qui « parlent dans le poste » à peine différente de la Renaissance et des Lumières. Ils vont sans doute un peu trop loin. On pourrait se demander pourquoi. Et, aussi, si cela ne fait partie de ce qui est devenu le mode opératoire des élites qui nous gouvernent. Elites bureaucratiques qui, dans le cadre du modèle social-démocrate de l’état-providence, maintiennent le consentement de la majorité des citoyens en les conditionnant par un nombre croissant d'avantages sociaux payés grâce à une absurde redistribution des revenus mais qui devient de plus en plus problématique. En effet, l’apparition dans les pays de l’Europe d’une population radicalement différente de l’autochtone car sa contribution au produit national est significativement inférieure tandis que sa consommation des richesses est significativement supérieure rend de plus en plus difficile le maintient de l'état-providence. Population qui commence à influencer , politiquement,la marche des pays de l’Europe mais qu’il faut « brosser dans le sens du poil », par exemple, en lui vantant les exploits de ses frères de l’autre côté de la Méditerranée.
Psychologue et pharmacien, Emile Coué de la Châtaignairie demandait à ses patients de répéter, vingt/trente fois par jour « Tous les jours et à tous points de vue, je vais de mieux en mieux » En nous parlant du « printemps arabe » c’est ce que nos dirigeants font, vingt, trente fois tous les jours. En attendant, l’hiver arabe arrivera sans doute, préparons-nous à un hiver froid.