Peu d’entre nous ignorent la légende de Frankenstein et de son «monstre», le Golem. Et nous nous souvenons, aussi, qu’effrayé par ce que sa création devenait, son créateur l'a tué. Selon certains il s’agirait de Rabbi Judah Loew of Prague, né en Pologne mais ayant vécu, au 16ème siècle, à Prague. Selon la légende devenue chrétienne (Mary Shelley) il s’agissait d’un «Prométhée» moderne qui voulait damer le pion à Dieu en créant son monstre …
Je déraisonne ? Non, c’est une métaphore, il s’agit de M. Fakhrizadeh, concepteur du programme nucléaire militaire iranien et de sa création, au départ le projet AMAD (créer 5 bombes atomiques, 1999-2003) et, ensuite, la «militarisation» du nucléaire civil pour arriver à disposer de têtes nucléaires montées sur des fusées balistiques. Vous suivez ?
Pourquoi faire ? Depuis sa création (1979), la République Islamique de l’Iran à inscrit sur le frontispice de sa constitution une ardente obligation : «détruire l’entité sioniste et libérer la Palestine» Et d’une manière tout à fait claire elle a fait savoir, urbi et orbi, par la voix de son président Akbar Hashemi Rafsanjani qui avait appelé le petit Israël «a one bomb country» en disant Si un jour, le monde islamique est également équipé d’armes comme celles qu’Israël possède actuellement, alors la stratégie des impérialistes s’arrêtera car l’utilisation d’une seule bombe nucléaire sur Israël détruira tout. Tandis, qu’une telle action ne ferait que peu nuire au monde islamique. Il n'est pas irrationnel d'envisager une telle éventualité. (14 décembre 2001). Résumons : l’Iran, signataire du Traité de non prolifération d’armes nucléaires (1968) a entamé, dès 1999, un processus qui doit l’amener à disposer d’armes nucléaires et dont l’objectif déclaré serait la destruction d’Israël. Mais ce processus est illégal (vu les obligations contractées par l’Iran, -1970 signature du traité évoqué) et interdit par la Charte des Nations Unies (Interdiction du recours à la menace ou à l’emploi de la force aux termes du paragraphe 4 de l’Article 2). Voilà, donc le monstre, et son concepteur depuis 1999 s’appelle M. Fakhrizadeh. Il vient d’être l’objet d’un assassinat en plein jour à 65 km de Téhéran. Depuis 1999 et jusqu’en 2020 ce monsieur était présenté par les autorités iraniennes comme un modeste professeur de physique mais … pendant 20 ans les mêmes autorités ont refusé le droit de le rencontrer à l’AIEA qui savait ce qu'il était et ce qu’il faisait. Mort, les autorités lui assurent des funérailles nationales, on le transporte dans la ville sainte de Qom, le Guide Suprême témoigne de son importance : tout cela pour un obscur prof de physique ? Qui se déplaçait avec un convoi de quatre SUV remplis de gardes du corps (Agence Fars, 29.11.20) ?
Non, il s’agit de l’homme qui a conçu et qui contrôlait la réalisation de ce dont l’Iran a besoin pour détruire Israël. Pendant plus de 20 ans, M. Fakhrizadeh était responsable, dans la langue des physiciens qui traitent de ces problèmes, de la «militarisation». Entre autres choses, il a même été invité au troisième essai d’armes nucléaires de la Corée du Nord en 2013 (JNS 29.11.20).
Le faire disparaître était un objectif que ceux qui s’opposent aux velléités iraniennes devaient faire leur. «Fakhrizadeh était unique parce qu’il a dirigé la dernière et la plus importante étape de la construction d’une arme nucléaire et du développement de missiles pouvant porter des ogives nucléaires» Y. Melman, AP News, 28.11.20
Qu’Israël ait été le premier désigné comme coupable par l’Iran, rien d’anormal.
Par contre, ce qui est anormal c’est de voir une partie de ceux qui commandent (ou ont commandé) la «communauté internationale» considérer que trucider le concepteur du «monstre» était «illégal et criminel» Parmi ceux-ci, l’ancien patron de la CIA (qui présentait les listes des djihadistes à assassiner à M. Obama pour les approuver) et (oh, horreur) Bruxelles (www.auractiv.com, 29.11.20) : «L'Union européenne, par la voix de son représentant, J. Borell, a condamné samedi le meurtre d'un «éminent scientifique nucléaire iranien» la veille, comme un acte criminel et a appelé au calme et à la retenue alors que les responsables de Téhéran accusaient Israël de l'assassinat et juraient de répondre» M. Borrell, dont le premier voyage hors de l’Europe a été pour Téhéran. L’Europe pour qui, si on comprend bien, viser la destruction d’Israël en préparant les armes pour, n’est ni illégal ni criminel. Ce qui a fait dire au chef de l'opposition israélienne, Yair Lapid, que «le fait que l'Union européenne condamne l'assassinat justifié du scientifique nucléaire iranien au lieu de condamner les efforts de l'Iran pour acquérir des armes de destruction massive et exporter le terrorisme partout dans le monde représente une faillite morale et une lâcheté abjecte.»
L’Europe ne peut pas ne pas réaliser que l’Iran (dont elle se fait la complice objective à cause d’intérêts économiques – en premier lieu allemands) qui a visé (vise) la destruction d’Israël fait cela par deux voies différentes : (a) la «construction» d’un arc de dominance terrestre (Irak, Syrie, Liban) l’amenant aux frontières d’Israël et (b) l’accession à la bombe dont la première cible sera Israël. Bien sûr qu’elle réalise cela. Mais… les intérêts économiques allemands, d’un côté, et sa nonchalance vis-à-vis de la disparition éventuelle d’Israël, d’un autre côté, commandent son attitude. De la même manière que son attitude vis-à-vis du nouveau sultan (dont Mme Merkel est devenue l’obligée) ou des fameux opprimés palestiniens. L’Europe, 27 pays en quête d’une unité que rien n’annonce mais qui ne regardent que leurs intérêts propres.
Certes, il y a ceux qui considèrent que faire disparaître un Fakhrizadeh ne changera pas beaucoup les choses, qu’il a dû former des adjoints et que … les cimetières sont pleins de gens irremplaçables. Peut-être. Mais écoutons A. Yadlin (un des pilotes ayant bombardé en 1981 le réacteur nucléaire que J. Chirac à offert à Saddam Hussein -ami de la France- en 1975 et qui a été pendant des années Directeur du Renseignement militaire d’Israël) : «Il y a des gens que vous pouvez [nominalement] remplacer, mais il n’y a vraiment pas de remplacement pour leurs capacités, leurs connaissances, leur leadership et la manière dont ils savaient diriger un effort stratégique». Au cours des trois dernières décennies, l'Iran s'est engagé dans deux efforts stratégiques: parvenir à l'hégémonie au Moyen-Orient en établissant une présence en Irak, en Syrie, au Liban et au Yémen, et se rapprocher le plus possible de la capacité nucléaire sans franchir réellement le seuil qui déclencherait l'opposition internationale. Ces deux efforts ont été menés par Qassem Soleimani et Mohsen Fakhrizadeh, et les Iraniens souffrent sans aucun doute de leur disparition de l'arène. M. Fakhrizadeh était si central dans le programme secret d'armes nucléaires de la République islamique qu'il sera difficile de le remplacer par quelqu'un de même stature» (TOI, 29.11.20). Soleimani a été assassiné par un drone américain, Fakhrizadeh on ne sait pas par qui mais on soupçonne Israël (car on ne prête qu’aux riches …). On va les remplacer ? Peut-être, mais jusque-là l’Iran comprendra que les attaques dont il est l’objet soulignent qu’Israël dispose d’un accès inégalé à l’intérieur de ses services de sécurité sans lequel il lui aurait été impossible d’atteindre ses cibles... Le Monde 29.11.20. Intéressant aussi : «Le chef du projet nucléaire militaire tué avec des armes israéliennes contrôlées par satellite - Rapport iranien» (TOI, 30.11.20) et Iran a déclaré avoir distribué des photos de 4 suspects dans le meurtre du chef du programme nucléaire (newstral.com, 29.11.20). Une certaine confusion qui en dit long …
Cela nous amène à la conclusion, un épitaphe pour M. Fakhrizadeh : Le Golem finit par gagner trop de force et le rabbin lui enlève la vie.